bigoit.gif (2894 bytes)Organisation
Internationale du Travail


Le travail des enfants
L'intolérable en point de mire

Introduction

La communauté mondiale demande qu’il soit mis un terme à l'intolérable. Elle veut voir cesser les pires formes d'exploitation des enfants: travail dans des conditions assimilables à l'esclavage, travail dangereux et harassant, prostitution, pornographie et autres formes extrêmes d'exploitation.

Dans le cadre de sa campagne contre le travail des enfants l'Organisation internationale du Travail propose, pour en combattre les formes les plus odieuses, l'adoption d'un nouveau cadre normatif international, complété par des recommandations concernant les mesures concrètes à prendre et l'assistance nécessaire. Cette proposition, présentée par les trois groupes de mandants — gouvernements, organisations d'employeurs, organisations de travailleurs—consiste à demander aux Etats Membres de s'engager à interdire et prévenir le recours à la main-d'oeuvre enfantine pour des travaux dangereux et à y soustraire de toute urgence les enfants qui y sont astreints.

Sur la base des enseignements que l'on peut tirer de l'action de I'OIT dans ce domaine, notamment du Programme international pour l'abolition du travail des enfants, le présent rapport décrit l'exploitation et la maltraitance des enfants astreints au travail, les législations et les pratiques nationales et internationales et propose des mesures concrètes propres à affranchir les enfants de la servitude pour dettes, de la prostitution et des activités et emplois dangereux. Il s'accompagne d'un questionnaire (Rapport VI(l): Questionnaire) qui demande aux gouvernements de donner, en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs, leur avis sur le champ d'application et le contenu des instruments juridiques internationaux proposés.

1. Le problème

Le contexte mondial

Le travail des enfants reste, aujourd'hui, un sérieux problème, partout dans le monde. Selon des estimations révisées par le Bureau de statistique du BIT, au moins 120 millions d'enfants de 5 à 14 ans travaillent. La grande majorité de ces enfants se trouve dans des pays en développement d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, ce qui, compte tenu de la situation économique, n'est pus pour étonner. Mais, dans beaucoup de pays industrialisés, on trouve aussi des enfants astreints au travail. Nombreux sont ceux qui travaillent dans des emplois et des secteurs absolument dangereux ou ils sont exposés à de nombreux risques: dans les mines, les fabriques de bracelets de verre, d'allumettes ou de feux d'artifice, sur les navires de pêche hauturière, dans l'agriculture commerciale, etc. Leurs taches sont innombrables, de même que les dangers auxquels ils sont exposés et les conséquences qui en découlent.

Dans le monde d'aujourd'hui, la principale forme d'exploitation et de maltraitance des enfants est l'exploitation de leur travail.

Cependant, il y a des raisons d'être optimiste. Le monde est très différent aujourd'hui de ce qu'il était il y a une quinzaine d'années. Il offre de nouveaux moyens et de nouvelles occasions et un consensus se fait jour dans la communauté mondiale, désormais consciente qu'elle a le devoir de lutter en priorité contre les formes intolérables d'exploitation du travail des enfants — servitude, travail forcé — qui persistent dans de vastes secteurs de l'industrie, de l'agriculture et des services.

Un des phénomènes les plus remarquables des quinze dernières années est l'apparition d'un mouvement mondial de lutte contre le travail des enfants: les attitudes et les consciences ont radicalement changé et des acteurs de plus en plus nombreux et de plus en plus divers luttent pour la cause de l'enfance et des travailleurs enfants.

Jusqu'à tout récemment, le travail des enfants n'était pus au premier plan des préoccupations, que ce soit à l'échelle nationale ou à l'échelle internationale.

Sur le plan des politiques, un des graves problèmes auxquels s'est heurtée I'OIT a été d'amener les Etats Membres à prendre conscience du problème et à reconnaître sa réalité. La situation était occultée — voire niée —, que ce soit par les gouvernements, par les employeurs ou par les parents. La position de la plupart des gouvernements était que le travail des enfants était illégal et que, n'existant pus en droit, il n'existait pus en pratique. Les employeurs, de leur côté, du fait de cette illégalité, ne pouvaient employer des enfants que clandestinement. Quant aux parents indigents, ils n'avaient pus le choix et l'interdiction du travail des enfants était pour eux une vexation, voire une catastrophe économique. Et, même parmi les donateurs, bien rares étaient ceux qui plaçaient le problème sur la liste de leurs priorités. C'était la loi du silence, inspirée par la nécessité et l'opportunisme; le problème était occulté, ce qui interdisait pratiquement toute action corrective.

Les temps ont changé. Aujourd'hui, l'exploitation du travail des enfants domine l'actualité.

Le signe le plus flagrant du progrès accompli est peut-être le fait qu'aujourd'hui l'exploitation du travail des enfants est au premier rang des préoccupations de la communauté mondiale et des consommateurs, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Les entreprises tiennent compte des pressions exercées par les consommateurs des pays riches qui leur demandent de faire respecter les droits de l'homme, et en particulier les conventions de 1'OIT qui traitent des droits des travailleurs et du travail des enfants. Des fabricants mondialement connus, tels que Levi Strauss, Reebok, Sears et autres grands noms du secteur des articles de sport, surveillent désormais les conditions dans lesquelles les produits qui portent leur griffe sont fabriqués. En Europe, beaucoup de grands magasins ont décidé de ne plus vendre certains produits comme les tapis que s'il est certifié qu'ils ont été produits sans main-d'oeuvre enfantine. Certains sont convenus d'établir un code de conduite pour aider à faire disparaître l'exploitation du travail des enfants. La Fédération internationale de football association (FIFA), en collaboration avec la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l'habillement et du cuir (FITTHC) et la Fédération internationale des employés, techniciens et cadres (FIET), a mis au point un code qui, conformément à la convention n° 138 de 1'OIT, interdit l'emploi d'enfants de moins de 15 ans pour la fabrication d'articles agréés par elle.

Ces puissants mouvements de consommateurs et de fabricants ont été accompagnés d'un effort encore plus énergique sur les plans juridique et commercial:

Ce changement d'attitude s'est accompagné d'une transformation remarquable du comportement des protagonistes, en particulier des gouvernements. Jusqu'ici, le caractère illégal du travail des enfants et la susceptibilité politique des gouvernements faisaient obstacle aux initiatives nationales, à tel point qu'il n'y avait pus un seul projet de coopération technique que le BIT puisse exécuter dans ce domaine. Il n'en va plus de même aujourd'hui.

Beaucoup de gouvernements ont entrepris de réviser et de moderniser la législation nationale sur le travail des enfants et ont adapté des politiques et programmes pratiques (Brésil, Inde, Indonésie, Kenya, Népal, Pakistan, Philippines, République-Unie de Tanzanie, Thaïlande Zimbawe). Aujourd'hui, le Programme international pour l'abolition du travail des enfants (IPEC) de l'OIT est opérationnel dans plus de 25 pays.

Nature et ampleur du problème

Le travail des enfants aujourd'hui

Malgré tous ces progrès, il reste beaucoup à faire.

Il est difficile d'établir des statistiques concernant le travail des enfants en raison des problèmes pratiques particuliers que posent la conception et la réalisation d'enquêtes sur les enfants, et il est difficile de les interpréter parce que tout le monde n'a pus la même définition de l'enfant, du travail ou de l'exploitation des enfants. Il apparaît cependant que ce phénomène existe partout, et notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Selon des informations statistiques très limitées obtenues d'une centaine de pays, il a été estimé que, en 1995, 73 millions d'enfants de 10 à 14 ans étaient astreints au travail dans ces pays. Toutefois, des enquêtes expérimentales récemment réalisées par le Bureau de statistique du BIT dans un certain nombre de pays indiquent que ce chiffre est très en dessous de la réalité et que, par ailleurs, beaucoup d'enfants de moins de 10 ans travaillent. Le Bureau estime aujourd'hui que, rien que dans les pays en développement, il y a au moins 120 millions d'enfants de 5 à 14 ans astreints au travail, et qu'ils sont deux fois plus nombreux (environ 250 millions) si l'on inclut ceux pour qui le travail est une activité secondaire. Ces derniers se répartissent ainsi: Asie, 61 pour cent; Afrique, 32 pour cent; Amérique latine, 7 pour cent. Dans l'absolu, c'est en Asie que l'on trouve le plus grand nombre de travailleurs enfants, mais en proportion c'est l'Afrique qui détient le record: environ 40 pour cent d'enfants de 5 à 14 ans. Ce problème concerne donc avant tout les pays en développement, mais il existe aussi dans beaucoup de pays industrialisés et il fait son apparition dans beaucoup de pays d'Europe de l'Est et de pays d'Asie qui libéralisent leur économie.

L'incidence du travail des enfants varie beaucoup selon les pays. Une enquête récente du BIT au Ghana, en Inde, en Indonésie et au Sénégal4 a révélé que 25 pour cent des enfants de 5 à 14 ans avaient eu une activité économique et qu'environ 33 pour cent des enfants n'étaient pas scolarisés.

La Déclaration universelle des droits de l'homme proclame que «toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. » Etre privé d'éducation de base est d'autant plus grave à notre époque qu'il est plus que jamais nécessaire de savoir lire, écrire et compter et d'avoir certaines compétences pour vivre bien et s'intégrer dans la société. Un enfant contraint au travail est donc spolié de son avenir.

Le manque d'instruction n'est pas la seule conséquence néfaste du travail des enfants. Tout indique qu'un travail trop précoce peut nuire gravement au développement de d'enfant5. En Inde, des groupes d'écoliers et d'enfants travaillant dans l'agriculture, la petite industrie ou les services ont été suivis pendant dix-sept ans: l'enquête a révélé que les enfants qui travaillent accusent un déficit pondéral et restent toute leur vie plus petits que ceux qui ne travaillent pas6. A Bombay, on a observé que l'état de santé des enfants travaillant dans les hôtels, le bâtiment ou ailleurs était beaucoup plus mauvais que celui d'un groupe témoin d'écoliers. Ces enfants accusaient toutes sortes de symptômes: douleurs musculaires, de poitrine et abdominales, maux de tête, étourdissements, difficultés respiratoires, diarrhées et infections par les vers7. Des constatations analogues ont été faites dans l'industrie des tapis à Mirzapur (Inde). Les effets de l'insalubrité, de la promiscuité, du manque d'aération et des températures extrêmes sur le lieu de travail sont aggravés par les mauvaises conditions de vie et la malnutrition, de sorte que les enfants astreints au travail sont plus exposés que les autres aux maladies infectieuses, aux lésions corporelles et à d'autres troubles liés au lieu de travail.

La plupart des enquêtes ne couvrent les enfants qu'à partir de 10 ans. Mais beaucoup d'enfants commencent à travailler plus jeunes. Dans les campagnes, ils travaillent très tôt, dès 5, 6 ou 7 ans, surtout les filles. On estime que dans certains pays 20 pour cent des enfants qui travaillent ont moins de 10 ans dans les campagnes et environ 5 pour cent en ville. Le nombre d'enfants au travail est particulièrement élevé dans certaines activités telles que les services domestiques ou le travail à domicile. Dans beaucoup de villes du monde, on voit énormément d'enfants occupés à la récupération des ordures, comme chiffonniers, ou à de petits travaux marginaux dans la rue, où ils sont exposés aux drogues, à la violence, au crime, aux mauvais traitements et aux sévices sexuels.

Le travail précoce prive donc l'enfant de l'éducation et de la possibilité de se développer pleinement, physiquement et psychologiquement. Mais il y a bien pire. Des millions d'enfants dans le monde sont astreints à des formes d'exploitation dangereuses en elles-mêmes et dommageables à long terme: travail forcé, servitude pour dette, prostitution, pornographie, etc. Une politique nationale visant à abolir ce fléau doit donc être axée en priorité sur les enfants les plus vulnérables et sur ses formes les plus intolérables8.

Les travaux dangereux

Mais là où l'on trouve le plus d'enfants exposés à des risques, c'est dans les emplois et les secteurs dangereux.

Le milieu de travail comporte des risques pour la santé et la sécurité qui tiennent à la nature même du travail (dans le cas, par exemple, de procédés intrinsèquement dangereux), à la présence de substances et d'agents dangereux ou à de mauvaises conditions de travail9. Il arrive que des risques chimiques, physiques, biologiques et psychologiques soient présents simultanément. Leurs effets ne s'additionnent pas simplement mais s'amplifient mutuellement. Il est difficile d'identifier une cause isolée de risque professionnel.

Les enfants sont vulnérables à tous les dangers auxquels sont exposés les adultes quand ils sont dans la même situation, et ils tiennent autant que les adultes à survivre et à conserver leur intégrité physique. Mais ils souffrent plus encore que les adultes des dangers présents sur le lieu de travail. Ils sont biologiquement différents des adultes et ces différences anatomiques, physiologiques et psychologiques les rendent plus vulnérables aux risques professionnels. Leur santé risque d'être davantage atteinte; leur développement corporel et physiologique peut être définitivement compromis, d'où des handicaps dont ils souffriront toute leur vie. Par exemple, la manutention de charges trop lourdes ou les mauvaises positions de travail peuvent déformer définitivement un corps en pleine croissance et produire des handicaps irréversibles. On a constaté que les enfants souffrent plus que les adultes de l'exposition aux produits chimiques dangereux et aux rayonnements et qu'ils sont moins résistants aux maladies. Ils sont plus vulnérables aux mauvais traitements psychologiques et physiques; les humiliations et l'oppression qu'ils subissent au travail et ailleurs leur infligent des dommages psychologiques plus dévastateurs. S'agissant des enfants, il faut donc dépasser le concept relativement limité de risque professionnel tel qu'il s'applique aux adultes et tenir compte du fait qu'il s'agit d'êtres qui n'ont pas achevé leur croissance. Ils ont des besoins et des caractéristiques spécifiques qui doivent être pris en considération quand on définit les dangers que présente pour eux le lieu de travail.

Des enfants travaillant dans des industries manifestement dangereuses sont exposés à différents types de risques. En Inde, on cite le cas d'enfants exposés à des procédés intrinsèquement dangereux tels que la cuisson de la céramique ou le travail du verre en fusion. Dans le travail du laiton à Moradabad (Uttar Pradesh), ils sont exposés à une très haute température et utilisent des outils aiguisés et lourds10. Au Pakistan aussi, on trouve des enfants astreints à des travaux harassants et dangereux dans le secteur du bâtiment, notamment dans les briqueteries. La pêche « muro-ami », répandue dans beaucoup de pays d'Asie, oblige les enfants à plonger en apnée sans équipement de protection. C'est un métier notoirement dangereux, où les accidents ne sont pas rares: noyade, éclatement des tympans, décès à la suite d'une décompression trop rapide11. Dans l'industrie de l'ardoise et la métallurgie, les enfants travaillent avec des machines dépourvues de dispositifs de protection et mal entretenues et des outils inadaptés et dangereux, dont ils sont parfois les victimes.

Le milieu de travail peut présenter divers autres risques pour les enfants. Dans les fermes et les plantations, ils respirent les poussières organiques. Au Sri Lanka, l'intoxication par les pesticides tue plus d'enfants que le paludisme, le tétanos, la diphtérie, la poliomyélite et la coqueluche mis ensemble12. Plusieurs études indiquent qu'en Egypte, aux Philippines et en Turquie des enfants travaillant dans des ateliers de réparation, des menuiseries ou des chantiers de construction respirent en permanence des poussières et des vapeurs malsaines. Ils souffrent de sérieux problèmes ergonomiques quand ils doivent travailler accroupis pendant des heures, par exemple pour fabriquer des tapis ou des vêtements dans les ateliers de sous-traitance. Les poussières et les déchets s'accumulent dans les locaux mal tenus et provoquent des troubles respiratoires et des accidents, comme on l'a observé dans les ateliers artisanaux au Kenya, en République-Unie de Tanzanie et aux Philippines.

Dans plusieurs types d'activités, les enfants sont exposés à des substances dangereuses, y compris des substances toxiques et cancérogènes. L'amiante est probablement un des produits cancérogènes les plus connus. Les enfants ne devraient pas travailler dans les mines, le bâtiment, la réparation des freins, ni d'autres activités pour lesquelles on utilise de l'amiante ou qui produisent des poussières de silice ou de charbon. Les teintures à l'aniline sont aussi des cancérogènes bien connus et il ne faudrait pas employer d'enfants pour la teinture à I'aniline de la laine destinée aux tapis ou des cuirs de cordonnerie.

Les solvants et les colles sont toxiques pour le système nerveux: il faut donc éviter de faire travailler les enfants en contact avec ces substances (par exemple, dans l'industrie du cuir). Beaucoup de métaux contiennent du plomb et du mercure; les enfants sont particulièrement sensibles au plomb, qui est souvent présent dans la construction, la verrerie et la réparation de radiateurs d'automobiles. Il faut retirer immédiatement des mines d'or tous les enfants qui y travaillent, car les taux de mercure y sont très élevés.

Le benzène est aussi un produit cancérogène bien connu. Il sert de solvant pour des colles, le caoutchouc, des peintures et des huiles. Même à une faible concentration, il peut provoquer des symptômes de toxicité; une exposition prolongée peut provoquer des troubles sanguins allant de l'anémie à la leucémie. Le benzène constitue un risque évident pour les enfants travaillant dans les garages et les postes d'essence.

Pour toutes les raisons indiquées plus haut, il faut éviter d'exposer les enfants aux substances et agents dangereux. Il faudrait interdire l'emploi d'enfants dans toutes les activités où ils sont en contact avec des produits cancérogènes reconnus, des neurotoxines, des métaux lourds ou des substances irritant la peau ou les poumons.

Dans certains emplois, les enfants manipulent des matières dangereuses et utilisent des outils mal adaptés. Comme on l'a vu plus haut, ils sont exposés à des risques ergonomiques, à des produits chimiques toxiques et à des agents physiques et biologiques nuisibles tels que le bruit ou le bacille du charbon. Les valeurs limites d'exposition recommandées pour les adultes sont trop élevées pour les enfants. Ceux-ci risquent davantage de s'épuiser ou de se blesser lorsqu'ils utilisent des outils conçus pour les adultes. Quand l'équipement de protection n'est pas à leur taille, ils doivent s'en passer ou utiliser des systèmes de fortune — par exemple couvrir leur nez ou leur bouche avec un mouchoir — qui ne les protègent pas réellement. Les sièges conçus pour les adultes peuvent provoquer chez les enfants des problèmes musculaires ou osseux.

Le travail de force, la manutention de lourdes charges et la station prolongée dans de mauvaises positions risquent de provoquer chez les enfants dont les épiphyses ne sont pas encore soudées des déformations du squelette, en particulier de la colonne vertébrale et parfois du pelvis, ainsi que des retards de croissance. Leur développement physique et mental en souffre directement. Les enfants ne sont pas physiquement capables de supporter de longues heures de travail dur et monotone. Ils ne peuvent pas non plus se concentrer aussi longtemps que les adultes. Ils' ressentent les effets de la fatigue plus vite que les adultes parce qu'ils sont contraints à une dépense d'énergie excessive et la plupart souffrent de malnutrition, ce qui réduit leur résistance à la maladie.

Même si la plupart des enfants travaillent aux côtés des adultes, les conditions de travail des uns et des autres ne sont pas nécessairement les mêmes. Dans le même métier, les risques peuvent être plus élevés pour les enfants en raison des tâches spécifiques qui leur sont confiées, en général les plus humbles: ils peuvent être particulièrement exposés aux solvants, aux produits fortement alcalins et à toutes sortes de substances toxiques. Les risques d'accident sont plus grands parce que les enfants ne sont pas conscients du danger et ne connaissent pas les précautions à prendre. On observe fréquemment que les accidents du travail sont en général plus graves pour les enfants et les jeunes travailleurs que pour les adultes.

Tous les enfants qui travaillent sont vulnérables, mais les très petits et les filles le sont plus que les autres. Le travail précoce accroît la durée d'exposition aux risques professionnels. Certaines entreprises recrutent des enfants parce que la santé des adultes est déjà minée, par exemple, dans les industries de la chaux, de l'ardoise ou du verre. L'exposition précoce à des substances dont les effets ne se font sentir qu'après de longues périodes de latence, telles que l'amiante, accroît le risque de contracter plus jeune des maladies chroniques telles que le cancer du poumon. Supportant moins bien la chaleur que les adultes, les enfants sont plus menacés par le stress thermique. Le risque de perdre l'ouïe sous l'effet d'un bruit trop intense est également plus grand. C'est pourquoi les limites de température et de bruit recommandées pour des adultes peuvent ne pas être assez rigoureuses pour des enfants. De même, les rayonnements ionisants sont particulièrement nuisibles pour des êtres en pleine croissance et leurs effets sont cumulatifs.

Comme on confie traditionnellement certaines tâches aux filles et d'autres aux garçons, les risques professionnels ne sont pas les mêmes pour les enfants des deux sexes. Les garçons sont plus souvent employés dans le bâtiment et les filles comme domestiques. Il semble que dans l'ensemble, les filles ont des journées de travail plus longues que les garçons, du fait justement que la plupart travaillent à des tâches ménagères. C'est là une des raisons pour lesquelles elles sont moins scolarisées que les garçons. Elles sont par ailleurs beaucoup plus vulnérables que ceux-ci aux sévices sexuels et à leurs conséquences telles que l'exclusion sociale, les traumatismes psychiques et les maternités non désirées. Les garçons, quant à eux, sont plus souvent victimes de lésions provoquées par la manutention de charges trop lourdes pour leur âge et leur état de développement.

On trouvera ci-après des exemples de risques professionnels auxquels sont exposés les enfants dans certains emplois et secteurs.

Agriculture: les enfants qui travaillent dans l'agriculture partout dans le monde subissent des risques professionnels en présence de machines et d'agents biologiques et chimiques. Ils préparent, chargent et appliquent des pesticides, des engrais et des herbicides dont certains sont très toxiques et peuvent être cancérogènes. Ils sont plus sensibles que les adultes à l'exposition aux pesticides, et l'on a constaté que celle-ci accroît le risque de cancer, de neuropathologies, de troubles du comportement et d'anomalies du système immunitaire.

Mines: Dans beaucoup de pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine, on trouve des enfants dans les petites mines. Ils travaillent de longues heures, dans une atmosphère très humide et chaude, sans l'équipement, les vêtements et la formation qui seraient nécessaires pour les protéger. Les poussières, les gaz et les fumées peuvent provoquer des maladies respiratoires et à terme, la silicose, des fibroses pulmonaires, I'asbestose et l'emphysème. Dans les mines, les enfants exposés à un effort physique excessif sont menacés de problèmes musculaires et osseux ainsi que de lésions provoquées par des chutes d'objets. Dans les mines d'or, ils risquent aussi d'être intoxiqués par le mercure.

Fabriques de céramique et verreries: On trouve beaucoup d'enfants dans ces industries en Asie, mais il y en a aussi dans d'autres régions du monde. Des enfants sortent des fours du verre en fusion à des températures de 1500 à 1800°C. Les ateliers sont mal éclairés et mal aérés et la température y atteint 40 à 45°C; certaines verreries tournent seulement la nuit. Les locaux sont mal entretenus; le sol est jonché de débris de verre et les fils électriques ne sont souvent pas isolés. Le bruit des presses, qui peut dépasser 100 décibels, peut provoquer des troubles auditifs. Les enfants sont astreints à de longues heures de travail. Les principaux risques sont les coups de chaleur provoqués par la température élevée, les cataractes, les brûlures et lacérations, les coupures par des débris et éclats de verre, des troubles auditifs provoqués par le bruit, des lésions et de la fatigue oculaires, la silicose, le saturnisme, l'intoxication par des émanations toxiques de monoxyde de carbone et de dioxyde de soufre.

Fabriques d'allumettes et de feux d'artifice: les allumettes sont généralement fabriquées dans des entreprises artisanales à domicile ou dans de petits ateliers villageois où le risque d'incendie et d'explosion est toujours présent. On a signalé des enfants de trois ans travaillant à la fabrication d'allumettes dans des salles non aérées, pleines de poussière et d'émanations et de vapeurs toxiques, où l'atmosphère est chargée en substances dangereuses — amiante, chlorate de potassium, trisulfure d'antimoine, phosphore rouge amorphe en mélange avec du sable ou de la poudre de verre et trisulfure de tétraphosphore. Ces substances provoquent de nombreuses intoxications et dermatoses.

Pêche hauturière: La pêche «muro-ami» est courante en Asie, particulièrement en Birmanie, en Indonésie, aux Philippines, et en Thaïlande. Elle consiste à faire plonger des enfants qui, sans équipement de protection, vont donner des coups sur les récifs coraliens pour effrayer les poissons qui vont se précipiter dans les filets. Chaque navire emploie jusqu'à 300 garçons de 10 à 15 ans, issus de quartiers pauvres. Les plongeurs reposent les filets plusieurs fois par jour, si bien qu'ils peuvent être dans l'eau jusqu'à douze heures dans la journée. Chaque année, des dizaines de jeunes plongeurs sont blessés ou tués, attaqués par des poissons prédateurs (poissons aiguilles, requins, barracudas, serpents de mer venimeux) ou noyés, victimes de rupture des tympans, d'une décompression trop rapide ou d'autres accidents mortels provoqués par la pression.

Les enfants domestiques

La violence et les sévices sexuels sont parmi les risques les plus graves et les plus effrayants auxquels sont exposés les enfants qui travaillent. Comment pourraient-ils ne pas en subir des conséquences psychologiques et affectives irréversibles ?

Les enfants qui travaillent comme domestiques font partie des victimes de ces mauvais traitements. L'emploi d'enfants comme domestiques est une pratique courante dans beaucoup de pays en développement: les patrons, des citadins, les recrutent souvent dans les villages par l'intermédiaire de parents, d'amis ou de relations. La plupart de ces enfants proviennent de familles extrêmement pauvres; beaucoup sont des enfants abandonnés, orphelins ou issus de familles monoparentales. (Une enquête sur les enfants travaillant comme domestiques au Togo a révélé que 24 pour cent d'entre eux étaient orphelins.)

Il est impossible de savoir exactement combien d'enfants travaillent comme domestiques parce que cette pratique est généralement clandestine, mais ils sont certainement très nombreux, surtout les filles. Par exemple, en Indonésie, des études citent le chiffre de 400 000 enfants domestiques travaillant à Djakarta, et jusqu'à 5 millions dans tout le pays. A Sri Lanka, on estime qu'ils sont environ 500 000. Au Brésil, 22 pour cent des enfants qui travaillent sont employés dans les services, principalement comme domestiques et, au Venezuela, 60 pour cent des filles de 10 à 14 ans qui travaillent sont employées comme domestiques.

La majorité des enfants travaillant comme domestiques ont entre 12 et 17 ans, mais certaines études citent des cas de domestiques beaucoup plus jeunes, de 5 ou 6 ans. Par exemple, au Bangladesh, on a constaté que 38 pour cent des petits domestiques avaient de 11 à 13 ans, et que près de 24 pour cent d'entre eux avaient de 5 à 10 ans. D'autres enquêtes ont révélé qu'au Kenya, 11 pour cent des enfants domestiques n'ont pas plus de 10 ans, qu'au Togo, ils étaient 16 pour cent dans ce cas, que dans le Grand Santiago, environ 5 pour cent avaient moins de 11 ans et 29 pour cent de 11 à 15 ans et qu'au Venezuela, 26 pour cent avaient moins de 10 ans.

Les journées de travail sont longues pour les enfants domestiques: le Syndicat du personnel domestique du Zimbabwe cite des chiffres de dix à quinze heures par jour. Au Maroc, une enquête a révélé que 72 pour cent des enfants commencent à travailler avant 7 heures du matin et que 65 pour cent ne se couchent pas avant 11 heures du soir. Et ce n'est pas tout: beaucoup d'adolescents et de jeunes filles employés comme domestiques subissent des sévices physiques, psychologiques et sexuels.

Esclavage et travail forcé des enfants

L'esclavage n'est pas mort. Les sociétés se voilent la face mais, comme il ressort des observations de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations de l'OIT, nombreux sont les enfants réduits en esclavage dans beaucoup de régions du monde. Parmi tous les enfants qui travaillent, ce sont évidemment ceux-là qui sont les plus menacés.

Certains systèmes de servitude sont pratiquement identiques à l'esclavage d'il y a deux siècles, sauf que les marchés sont moins ouverts. Les enfants sont purement et simplement vendus. Parfois, les propriétaires achètent les enfants de leurs locataires ou bien des « agents » versent une avance aux familles rurales dont ils emmènent les enfants travailler dans l'industrie du tapis ou du verre ou encore dans la prostitution. Ce type d'esclavage caractérisé a été signalé en Asie du Sud et du Sud-Est ainsi qu'en Afrique occidentale et, en dépit des démentis officiels, il est très répandu et bien documenté.

L'une des formes de travail forcé la plus répandue est la servitude pour dette: les enfants travaillent pour acquitter une dette ou une autre obligation contractée par la famille. Les créanciers, qui sont souvent les propriétaires, manipulent le plus souvent les choses de telle sorte qu'il est très difficile ou même impossible à la famille de régler sa dette; ils s'assurent ainsi une main-d'œuvre pratiquement gratuite à perpétuité. Les familles peuvent ainsi rester en servitude pendant des générations, les enfants prenant la relève des parents âgés ou infirmes. L'une des pratiques les plus courantes est sans doute la servitude informelle des enfants que leurs parents indigents livrent à des étrangers qui se contentent de les entretenir en échange de leur travail, dans l'idée qu'ils vivront mieux comme domestiques non rémunérés dans un ménage prospère que dans leur propre famille.

On rappellera une fois de plus que les systèmes de servitude sont illégaux dans presque tous les pays, même ceux où ils sont le plus répandus. Ils sont contraires non seulement aux lois sur le travail des enfants, mais aussi aux conventions internationales que presque tous les pays ont ratifiées.

Prostitution et traite des enfants

L'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales est devenue, ces dernières années, un problème mondial qui tend à s'amplifier. De plus en plus, des enfants sont vendus et font l'objet d'une traite internationale.

Il semble qu'il y ait cinq réseaux internationaux de traite d'enfants; l'un recrute en Amérique latine à destination de l'Europe et du Moyen-Orient; le deuxième livre des enfants d'Asie du Sud et du Sud-Est en Europe du Nord et au Moyen-Orient; le troisième fait un trafic régional en Europe; le quatrième, relié au précédent, fait de même dans le monde arabe; enfin, le cinquième exporte des fillettes d'Afrique de l'Ouest. En Europe de l'Est, aujourd'hui, la traite va généralement d'est en ouest. Un grand nombre de Bélarussiennes, de Russes et d'Ukrainiennes sont livrées en Hongrie, en Pologne, dans les Etats baltes ou dans les capitales d'Europe occidentale. Il y a aussi une traite de prostituées roumaines en Italie, à Chypre et en Turquie. Plusieurs circuits réguliers ont été découverts en Asie du Sud-Est: du Myanmar en Thaïlande; à l'intérieur de la Thaïlande; d'autres pays, dont ce dernier, en direction de Chine, des Etats-Unis, du Japon, de Malaisie; des Philippines et de Thaïlande vers l'Australie, la Nouvelle-Zélande et Taiwan, Chine; du Bangladesh et du Népal en Inde; d'Asie du Sud-Est à Hawaii et au Japon, via Hong-kong; d'Inde et du Pakistan vers le Moyen-Orient.

Selon un rapport de 1996 du Rapporteur spécial des Nations Unies chargé d'examiner les questions se rapportant à la vente d'enfants, à la prostitution des enfants et à la pornographie impliquant des enfants, environ un million d'enfants d'Asie sont victimes du commerce du sexe13. Selon la presse et des rapports d'ONG, la traite des fillettes entre la Thaïlande et les pays voisins augmente. Des fillettes cambodgiennes, chinoises, laotiennes, vietnamiennes et du Myanmar sont vendues aux maisons de prostitution de Thaïlande. Ce phénomène commence aussi à se développer au Bangladesh, en Inde, au Népal, aux Philippines et à Sri Lanka14. En Amérique latine un grand nombre d'enfants vivent et travaillent dans la rue où ils sont des proies faciles pour les commerçants du sexe. Un rapport du Bureau international catholique de l'enfance a révélé que ce problème existe en Argentine, en Bolivie, au Brésil, au Chili, en Colombie et au Pérou. En Afrique, la prostitution des enfants prend des proportions croissantes dans plusieurs pays, notamment au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Kenya, en Zambie et au Zimbabwe. Si le commerce sexuel d'enfants s'est intensifié en Afrique, en Asie, en Amérique latine, c'est sans nul doute à cause de l'internationalisation du tourisme sexuel, mais aussi parce que beaucoup de clients croient, à tort, qu'ils risquent moins d'être infectés par le SIDA s'ils ont des partenaires très jeunes.

La pauvreté est à l'origine de l'exploitation sexuelle des enfants dans beaucoup de pays. Dans les villes comme dans les campagnes, beaucoup de familles sont trop pauvres pour faire vivre et éduquer leurs enfants. Dans certains cas, pour des raisons ethniques, culturelles ou sociales, les enfants appartenant à des communautés indigènes, des groupes minoritaires et des castes inférieures sont particulièrement vulnérables. Ils ne parlent pas la même langue que la majorité; souvent, ils sont privés de droits civils et n'ont pas accès à l'éducation. Une fois pris dans l'engrenage, ils sont isolés et ne peuvent plus communiquer avec le monde extérieur.

L'exploitation sexuelle mercantile est une des formes les plus brutales de la violence qui s'exerce contre les enfants. Les victimes subissent des traumatismes physiques, psychosociaux et émotionnels irréversibles et parfois mortels. Les filles risquent des grossesses précoces, connaissent un taux élevé de mortalité maternelle et de maladies sexuellement transmissibles. Les monographies et les témoignages des victimes révèlent des traumatismes si profonds que, dans bien des cas, le retour à une vie normale est impossible. Beaucoup de victimes meurent avant l'âge adulte.

Les causes

Facteurs agissant sur l'offre

Les données sur les causes du travail des enfants en général considèrent le phénomène globalement. Il reste beaucoup à apprendre des raisons pour lesquelles des enfants sont employés à des tâches dangereuses, et il faut se demander si ces raisons diffèrent de celles qui expliquent les autres formes de travail des enfants. La pauvreté est la principale cause du travail des enfants. Les ménages pauvres ont besoin de ce que gagnent leurs enfants: cela peut représenter 20 à 25 pour cent du revenu familial15. Comme les ménages pauvres consacrent l'essentiel de leur revenu à l'alimentation — comme l'atteste le fait que dans un pays pauvre tel que l'Inde le seuil de pauvreté est fixé à 120 pour cent seulement du revenu nécessaire pour acheter de quoi satisfaire les besoins nutritionnels minimums de la famille —, il est évident que beaucoup d'entre eux ont besoin de ce que gagnent les enfants pour survivre.

Mais on ne peut pas dire que la pauvreté entraîne nécessairement le travail des enfants. Beaucoup de familles pauvres qui font travailler certains de leurs enfants envoient les autres à l'école. Dans les pays pauvres, la proportion des enfants qui travaillent diffère selon les régions, même si l'incidence du paupérisme est la même: I'Etat du Kerala (Inde), malgré sa pauvreté, a réussi à pratiquement éliminer le travail des enfants. Des comparaisons internationales révèlent que la proportion d'enfants qui travaillent peut être très différente dans des pays également pauvres.

Il importe de connaître les facteurs autres que le revenu qui sont à l'origine du travail des enfants pour comprendre non seulement pourquoi cette pratique existe, mais aussi pourquoi les enfants de certaines familles, de certaines zones et de certains pays sont plus que d'autres exposés à être disponibles pour un travail dangereux. Tout d'abord, il existe dans certaines familles et dans certaines régions une tradition selon laquelle les enfants succèdent à leurs parents: dans une famille qui exerce traditionnellement un métier dangereux (par exemple la tannerie), les enfants risquent fort d'y travailler aussi. Dans beaucoup d'activités rémunérées aux pièces, les enfants «aident» leurs parents, par exemple, dans beaucoup de régions, sur des chantiers de construction ou dans des artisanats à domicile tels que la fabrication de bidis.

Enfin, ce sont principalement les familles particulièrement vulnérables qui fournissent une main-d'œuvre enfantine pour des travaux dangereux, c'est-à-dire celles qui ont un faible revenu et qui ont donc bien du mal à faire face à des situations de détresse provoquées par un accident ou une maladie, par l'abandon du foyer conjugal ou par le divorce. Rares sont les ménages pauvres qui ont des réserves financières, beaucoup sont même endettés. Quelle qu'en soit l'origine, l'endettement ou le risque d'endettement est l'une des principales raisons de l'asservissement d'enfants à un travail dangereux: ceux-ci sont pratiquement vendus pour payer la dette de la famille.

Facteurs agissant sur la demande

La recherche sur les causes du travail des enfants est généralement axée sur les facteurs agissant sur l'offre. Cette optique s'explique par la préoccupation que suscitent à juste titre les victimes, à savoir les enfants, et par l'idée communément répandue que la pauvreté est le facteur déterminant de l'emploi de main-d'œuvre enfantine. Or c'est principalement la demande qui détermine l'emploi d'enfants dans des conditions dangereuses.

Plusieurs raisons expliquent pourquoi les employeurs ont recours à la main-d'œuvre enfantine. Les raisons les plus souvent évoquées sont que les enfants coûteraient moins cher et qu'ils seraient irremplaçables pour certaines tâches (grâce à leurs « doigts de fée »). Or non seulement ces arguments sont souvent fallacieux, mais il y a bien d'autres raisons, parfois plus importantes, pour lesquelles on emploie des enfants.

Les enfants seraient plus adroits que les adultes grâce à leurs « doigts de fée». Par exemple, on dit souvent que seuls les enfants, qui ont les doigts fins, sont capables de nouer des tapis à forte densité de points. Mais, selon des études récentes du BIT, confirmées par les conclusions d'un atelier sur le travail dangereux en Inde, cet argument ne tient pas pour un certain nombre d'activités dangereuses, et en particulier la fabrication de tapis, la verrerie, l'exploitation des mines d'ardoise, des meulières et la production de carreaux de mosaïque, la serrurerie, le polissage de pierres précieuses et de diamants. Dans ces branches d'activité, la plupart des tâches confiées à des enfants sont également accomplies par des adultes qui travaillent à côté d'eux en qualité de main-d'œuvre non qualifiée. Il est donc évident que les enfants pourraient être remplacés par des adultes. S'il est vrai que certaines tâches telles que la manutention et l'emballage sont exécutées presque exclusivement par des enfants, ce sont presque toujours des tâches qui ne nécessitent pas de compétences particulières et qui demandent moins de force physique. Là encore, il est clair que les enfants pourraient être remplacés par des adultes. Pour ce qui est de la fabrication de tapis à la main, qui nécessite beaucoup de dextérité, une enquête statistique portant sur plus de 2000 travailleurs du tapis a révélé que la proportion d'enfants employés pour les tapis à forte densité de points n'était pas particulièrement élevée. Certains des plus beaux tapis, ceux qui ont la plus forte densité de points, sont fabriqués par des adultes. Si l'on peut se passer de la dextérité des enfants pour tisser les tapis les plus fins, on voit mal pour quels autres métiers leurs « doigts de fée» seraient irremplaçables.

L'argument de l'irremplaçabilité économique n'est guère plus défendable. Il est vrai que, le plus souvent, les enfants sont moins payés que leurs homologues adultes. Mais les économies sur le coût de la main-d'œuvre et les autres avantages de la main-d'œuvre enfantine ne sont pas toujours si évidents et si déterminants qu'on le dit. Selon une étude récente du BIT en Inde16, les économies réalisées sur le coût de la main-d'œuvre en employant des enfants sont étonnamment modestes par rapport au prix de vente final des tapis ou des bracelets de verre (moins de 5 pour cent pour ces derniers tapis). Vendeurs et acheteurs n'auraient et de 5 à 10 pour cent pour les donc aucun mal à absorber les surcoûts qu'entraînerait le recrutement exclusif d'adultes. Dans ces conditions, pourquoi faire travailler les enfants, d'autant plus que les campagnes de boycottage des produits fabriqués par des enfants se multiplient un peu partout dans le monde ? La réponse doit être recherchée là où sont réalisés les profits découlant de cette pratique. Dans l'industrie du tapis, les bénéficiaires directs sont les propriétaires de métiers, qui supervisent le tissage. Nombreux, souvent pauvres eux-mêmes, ce sont de petits entrepreneurs qui, en général, ne possèdent qu'un ou deux métiers et travaillent avec une marge bénéficiaire très faible. En employant des enfants, ils peuvent doubler leurs revenus, lesquels sont si modestes qu'une augmentation négligeable du prix à la consommation suffirait à compenser le coût supplémentaire résultant de l'emploi exclusif d'adultes, à condition que cette augmentation se répercute sur eux17.

Les enfants ne sont donc pas indispensables à la survie économique de l'industrie du tapis et il suffirait de modifier légèrement la répartition des profits entre propriétaires de métiers, exportateurs et importateurs pour dissuader les premiers de recourir à la main-d'œuvre enfantine. Ces conclusions, qui s'appliquent à un secteur d'activités extrêmement concurrentiel et à forte intensité de main-d'œuvre, que d'aucuns considèrent comme l'un des plus tributaires du travail des enfants, amènent à se demander s'il existe vraiment des industries dont la compétitivité repose sur le travail des enfants. En tout cas, c'est à ceux qui le prétendent d'en apporter la preuve. Toutefois, dans un marché mondial ouvert, l'abolition du travail des enfants dans un pays donné pourrait avoir simplement pour effet de transférer l'activité vers d'autres pays qui n'ont pas encore abandonné cette pratique. Encore une fois, le cas des tapis tissés à la main est instructif. Une enquête réalisée dans une ville des Etats-Unis a montré que les importateurs de tapis cesseraient de s'approvisionner en Inde si le prix des tapis fabriqués dans ce pays augmentait de plus de 15 pour cent18. La demande de main-d'œuvre enfantine a effectivement une composante internationale et les mesures prises pour la décourager doivent s'appliquer à l'ensemble des grands producteurs afin d'éviter une guerre commerciale.

Etant donné que la main-d'œuvre enfantine n'est pas techniquement irremplaçable et ne coûte pas nécessairement beaucoup moins cher que les adultes, il y a tout lieu de penser qu'il existe de nombreuses raisons autres qu'économiques pour lesquelles elle est employée. Il semble que la plus importante est que les enfants sont moins conscients de leurs droits; ils font moins d'histoires, sont plus disciplinés et acceptent plus facilement un travail monotone sans se plaindre (on leur confie d'ailleurs souvent des tâches que beaucoup d'adultes jugent trop subalternes pour eux), ils sont plus fiables et risquent moins de voler, ils sont moins susceptibles d'absentéisme. Le faible absentéisme des enfants est particulièrement intéressant pour les branches de production typiques du secteur informel où les travailleurs sont employés à la journée, à titre occasionnel, et où il faut donc trouver chaque jour un nombre suffisant de travailleurs.

Priorités pour l'action

L'exploitation du travail des enfants est un problème énorme auquel il est urgent de s'attaquer. Mais par où faut-il commencer ? Tous les pays n'ont pas les moyens institutionnels et financiers requis pour agir sur tous les fronts à la fois, et il leur faut donc faire des choix. La solution la plus logique et la plus humaine est qu'ils affectent en priorité les ressources humaines et matérielles dont ils peuvent disposer à la lutte contre les formes les plus intolérables d'exploitation des enfants — esclavage, servitude pour dettes, prostitution, travail dans des emplois et des secteurs dangereux —, et à la protection des enfants les plus jeunes, notamment des filles. Cette stratégie a aussi pour avantage que les politiques destinées à aider les enfants qui en ont le plus besoin bénéficieront sans doute aussi aux autres et que, en s'attaquant aux cas les plus choquants, on peut plus facilement mobiliser l'opinion, ce qui est indispensable pour venir à bout de ce fléau.

Il faut par ailleurs s'attacher à rendre le problème plus visible. En effet, c'est en partie parce qu'elles sont cachées que sociétés et gouvernements n'ont pas montré plus d'ardeur à éliminer les formes les plus dangereuses de travail des enfants. Comme le dit l'adage: «Loin des yeux, loin du cœur. »

La première chose à faire est donc de faire connaître le sort des enfants qui travaillent et les dangers auxquels ils sont exposés. Pour commencer, il faudrait faire le point de la situation en vue, notamment, d'identifier les formes de travail qui menacent le plus la vie des enfants ou leur développement physique, mental et social.

Mais comment classer les risques par ordre de priorité? Il peut, certes, être utile de dresser des listes des secteurs, emplois et conditions de travail réputés dangereux pour les enfants, mais ce type d'information générale ne répond pas aux questions les plus délicates. Comment classer les différents types de travaux par ordre de gravité du préjudice qu'ils font subir aux enfants ? Qu'est-ce qui est pire: la perte de la vue ou une maladie pulmonaire ? Comment évaluer les risques de traumatismes psychosociaux par rapport aux risques purement physiques ? Comment comparer les effets à long terme et les effets à court terme? Il est inévitable de se poser ce genre de questions si l'on veut fixer des priorités. Le problème est qu'elles n'ont pas de réponses faciles ni universelles et que le choix des priorités comporte toujours un élément de subjectivité.

L'expérience montre qu'il n'y a pas de réponses toutes faites, purement techniques à ce genre de problème. Dans le cas d'espèce, il faut décider concrètement des problèmes à attaquer en priorité, en veillant à ce que les décisions prises bénéficient au moins d'un minimum de crédibilité et de légitimité sociales. Heureusement, il est plus facile dans la pratique qu'en théorie de désigner les enfants qui courent les plus grands risques. En général, quand on dispose d'informations suffisantes sur un lieu donné, il est assez évident de déterminer quelles sont les formes les plus dangereuses de travail et quels sont les enfants qui sont le plus touchés. C'est un point sur lequel des personnes compétentes venant d'horizons différents devraient pouvoir se mettre d'accord.

Notes

1Organisation mondiale de la santé: La santé de l'enfant au travail: risques particuliers (Genève, 1987); Satyanarayan et coll.: «Effect of early childhood under-nutrition and child labour on growth and adult nutritional status of rural Indian boys around Hyderabad», Human nutrition: Clinical nutrition, nº 40 C, 1986.

2Senanayake, N. et Roman, G. C.: «Epidémiologie de l'épilepsie dans les pays en développement», Bulletin de l'Organisation mondiale de la santé, vol. 71(2), 1993.

3Jeyaratnam, J.: «1984 and occupational health in developing countries». Scandinavian Journal on Working Environment and Health, n° II, Helsinki, 1985.

4BIT: Child labour surveys: Results of methodological experiments in four countries, 1992-93 (Genève, 1996).

5On trouvera une étude détaillée des nsques divers auxquels sont exposés les enfants qui travaillent dans Forastieri, V.: Danger: Children at work (Genève, BIT, à paraître).

6Satyanarayana et coll.: op.cit.

7Naidu, U. et Parasuman, S.: Health situation of working children in Greuter Bombay, (Bombay, Unit for child and Youth Research, Tata Institute of Social Sciences, 1985).

8On trouvera une étude approfondie sur le travail forcé et le travail dangereux des enfants et les politiques et programmes visant à combattre ce phénomène dans Bequele, A. et Mayers, W.: First things first in child labour: Eliminating work detrimental to children (Genève, BIT, 1995).

9Voir dans Forastieri, V., op. cit., une analyse détaillée de la question.

10Naidu, E. S. et Kapadia, K. R. (responsables de la publication): Child labour and health, problems and prospects (Bombay, Tata Institute of social Sciences, 1984), et Child labour in the brassware industry of Moradabad (Ghaziabad, Inde, National Labour Institute, juillet 1992).

11Rialp, V.: op. cit.

12Jeyaratnam, J.: «Planning for the health of the worker», Bull pesticides and the third worid poor: A growing problem. (Oxford, Oxfam Public Affairs Unit, 1982).

13Nations Unies, Commission des droits de l'homme: Droits de l'enfant, Rapport du Rapporteur spécial chargé d'étudier la question de la vente d'enfants, de la prostitution des enfants et de la pornographie impliquant des enfants (Genève, doc. n° E/CN.4/1996/100, 17 janvier 1996), p. 8.

14Pour plus de détails, voir Black, M.: In the twilight zone: Child workers in the hotel, tourism and catering industry (Genève, BIT, 1995); Goonesekere, S. W. E.: Child labour in Sri Lanka: Learning from the past (Genève, BIT, 1993); Rialp, V.: Children in hazardous work in the Philippines (Genève, BIT, 1993).

15 Anker, R. et Melkas, H.: Economic inventives for children and familles to eliminate or reduce child labour (Genève, BIT, 1996).

16 Commencée en 1992, cette enquête s'est conclue par un séminaire tenu en Inde (26-28 juillet 1995), dont les principaux documents seront prochainement publiés: voir Anker, R. et Barge, S.: Economies of child labour in Indian industries (Genève, BIT, à paraître).

17 Levison, D., Anker, R., Ashraf, S. et Barge, S.: Is child labour really necessary in India's carpet industry ? (Genève, BIT, 1996).

18 Ibid.

2. Le droit international et le travail des enfants

L'un des principaux moyens dont l'OIT dispose pour améliorer la législation et les pratiques de ses Etats Membres en matière de lutte contre le travail des enfants est l'adoption de conventions et de recommandations internationales du travail et le contrôle de leur application. Plusieurs instruments interdisent déjà le travail des enfants dans différents secteurs et différentes circonstances, tandis que d'autres, d'application plus générale, comme ceux qui traitent de la sécurité et de la santé, comportent des dispositions propres au travail des enfants. En outre, les organes de contrôle1 de l'OIT examinent dans le cadre de la convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930, les graves problèmes liés à l'exploitation des enfants livrés à la servitude pour dettes et aux autres «formes contemporaines d'esclavage» comme la prostitution enfantine.

Les préoccupations que suscite le travail des enfants s'expriment également dans certains instruments des Nations Unies, dont le plus récent est la Convention relative aux droits de l'enfant. Pour comprendre comment des nouvelles normes trouveraient leur place dans l'ensemble des textes en vigueur et éviter d'éventuelles incompatibilités, il est utile d'examiner certains des instruments internationaux qui se rapportent le plus directement à la question ainsi que la manière dont ils sont appliqués.

Conventions et recommandations de l'OIT

L'OIT a adopté sa première convention sur le travail des enfants en 1919, l'année de sa fondation. Il s'agit de la convention (n° 5) sur l'âge minimum (industrie), 1919, qui interdit le travail des enfants de moins de 14 ans dans les établissements industriels. Par la suite, l'Organisation a adopté neuf conventions sectorielles sur l'âge minimum d'admission à l'emploi dans les branches et professions suivantes: industrie, agriculture, soutiers et chauffeurs, travail maritime, travaux non industriels, pêche et travaux souterrains. De nombreux autres instruments de l'OIT contiennent également des dispositions tendant à fixer l'âge minimum pour différentes activités.

Les instruments de l'OIT les plus récents et les plus complets sur le travail des enfants sont la convention (n° 138) et la recommandation (n° 146) sur l'âge minimum, 1973. La convention fait la synthèse des principes énoncés progressivement dans divers instruments précédents et s'applique à tous les secteurs économiques, que des enfants y travaillent ou non comme salariés.

La convention n°138 fait obligation aux Etats qui la ratifient de fixer un âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail et de s'engager à poursuivre une politique nationale visant à assurer l'abolition effective du travail des enfants et à élever progressivement l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail à un niveau permettant aux adolescents d'atteindre le plus complet développement physique et mental2. Elle n'a pas été conçue comme un instrument statique fixant un âge minimum immuable, mais comme un instrument dynamique visant à améliorer progressivement les normes en vigueur et à encourager l'action de longue haleine nécessaire pour atteindre les objectifs fixés.

La recommandation n° 146 qui complète la convention n° 138 propose le cadre d'action et les mesures essentielles à mettre en œuvre pour prévenir et éliminer le travail des enfants.

La fixation de l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail reste pour les Etats qui ratifient la convention une obligation fondamentale dans le cadre de leur politique nationale. Il est plus exact, toutefois, de parler d'âges minimums, au pluriel, car l'âge fixé varie selon la nature de l'emploi ou du travail (voir le tableau 1).

Le premier principe est que l'âge minimum ne devrait pas être inférieur à l'âge auquel cesse la scolarité obligatoire, ni en tout cas à 15 ans, et qu'il devrait être élevé progressivement à un niveau permettant aux adolescents d'atteindre le plus complet développement physique et mental. Les pays dont l'économie et les institutions scolaires ne sont pas suffisamment développées peuvent, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs, le fixer initialement à 14 ans. En outre selon la recommandation n° 146, les Membres devraient s'efforcer de porter l'âge minimum à 16 ans, et celui-ci devrait être fixé au même niveau pour tous les secteurs d'activité3.

La convention prescrit de fixer à 18 ans l'âge minimum pour tout travail dangereux, c'est-à-dire pour tout type de travail «qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s'exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescents». Comme cette disposition vise les activités « susceptibles » d'entraîner de tels effets et non pas seulement celles dont il est avéré qu'elles les entraînent, il convient d'examiner à la fois la nature des activités en question et les conditions dans lesquelles elles sont exécutées. Certaines activités, non dangereuses en elles-mêmes, peuvent le devenir dans certaines conditions, ce dont les autorités compétentes doivent tenir compte.

La convention dispose aussi que les types d'emploi ou de travail visés seront déterminés par la législation nationale ou l'autorité compétente, laissant ainsi à chaque pays le soin de cette décision. Quelle que soit la méthode choisie, il faut que la détermination soit faite et que les organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées, s'il en existe dans le pays, soient consultées à cette fin.

La recommandation propose des critères à ce sujet, indiquant qu'il convient de tenir pleinement compte des normes internationales du travail pertinentes, par exemple celles qui concernent les substances ou agents toxiques ou les procédés dangereux (y compris les normes concernant les radiations ionisantes); le transport de charges lourdes et les travaux souterrains. Elle dispose en outre que la liste des types d'emploi ou de travail dont il s'agit devrait être réexaminée périodiquement, à la lumière notamment des progrès de la science et de la technique, en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs.

L'âge minimum, pour les types de travail visés, devrait être de 18 ans. La recommandation renforce ce principe en indiquant que, lorsque l'âge minimum est encore inférieur à 18 ans, des mesures devraient être prises, sans délai, pour le porter à ce niveau. Toutefois, la convention dispose que cet âge peut être abaissé à 16 ans à condition que la santé, la sécurité et la moralité des intéressés soient pleinement garanties et qu'ils aient reçu, dans la branche d'activité correspondante, une instruction spécifique et adéquate ou une formation professionnelle. A ces deux conditions s'en ajoute une troisième: la consultation préalable des organisations d'employeurs ou de travailleurs.

Tout en fixant un âge minimum applicable en principe à tous les secteurs d'activité, que des enfants y travaillent ou non comme salariés, la convention n° 138 contient des dispositions qui lui donnent une certaine souplesse destinée à en permettre l'application progressive. Ainsi, les pays dont l'économie et les institutions scolaires ne sont pas suffisamment développées peuvent spécifier, en une première étape, un âge minimum de 14 ans au lieu de 15, ce qui a pour effet d'abaisser l'âge minimum pour les travaux légers de 13 à 12 ans. Toutefois, il n'existe pas d'exception correspondante pour les activités dangereuses, en application du principe selon lequel le niveau de développement ne peut servir d'excuse pour permettre que des enfants soient affectés à des tâches susceptibles de compromettre leur santé, leur sécurité ou leur moralité.

La convention n° 138 présente aussi une certaine souplesse en ce qui concerne les secteurs ou activités visés puisqu'elle autorise les Etats à exclure des catégories limitées d'emploi ou de travail lorsque son application à ces catégories soulèverait des difficultés d'exécution spéciales et importantes. Elle ne précise pas ces catégories, mais il a été fait mention, au cours des travaux préparatoires, de l'emploi dans les entreprises familiales, des services domestiques chez les particuliers et de certains types de travaux effectués en dehors du contrôle de l'employeur, par exemple le travail à domicile4. Ces exclusions tiennent essentiellement aux difficultés pratiques que soulève l'application de la loi aux catégories visées, et non à l'absence de risques d'exploitation ou d'abus.

Par ailleurs, la convention donne aux pays en développement la possibilité de limiter initialement son champ d'application en précisant les branches d'activité économique ou les types d'entreprises auxquelles elle s'applique. Il faut cependant inclure au moins les sept secteurs suivants: industries extractives; industries manufacturières; bâtiment et travaux publics; électricité, gaz et eau; services sanitaires; transports, entrepôts et communications; plantations et autres entreprises agricoles exploitées principalement à des fins commerciales (à l'exclusion des entreprises familiales ou de petites dimensions produisant pour le marché local et n'employant pas régulièrement des travailleurs salariés).

Différentes autres dispositions prévoient des exceptions ou des dérogations — par exemple celle qui exclut les travaux effectués dans le cadre de certains types d'enseignement ou de formation ou celle qui permet d'autoriser la participation des enfants à des spectacles artistiques ainsi que la possibilité de fixer l'âge minimum de l'apprentissage à 14 ans. S'il s'agit d'activités dangereuses, l'application de ces dispositions exige les plus grandes précautions. Ainsi, la participation à des spectacles artistiques peut présenter de graves risques pour la santé ou la moralité des jeunes. C'est pourquoi certains pays interdisent de les faire travailler dans les établissements tels que boites de nuit, cabarets et cirques, où il existe en outre un risque d'exploitation sexuelle. Quant à la formation, elle peut être un subterfuge permettant aux employeurs d'imposer de façon continue un travail pénible à des enfants n'ayant pas atteint l'âge minimum. Il est donc essentiel de procéder à des contrôles et à des inspections pour s'assurer que les jeunes reçoivent une véritable formation dans des conditions convenables et ne sont pas contraints à cette occasion d'effectuer des tâches dangereuses.

La convention fait obligation à l'autorité compétente de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris des sanctions appropriées, en vue d'assurer l'application effective de ses dispositions. Les sanctions visées ici sont celles qui seront prévues par la législation nationale pour les infractions aux dispositions donnant effet à la convention.

Un autre instrument de l'OIT dont le rôle est essentiel pour protéger les enfants contre les pires formes d'exploitation est la convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930, qui vise à supprimer le recours au travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes. Le « travail forcé ou obligatoire» est défini comme «tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré». Cette convention est l'un des instruments fondamentaux de l'OIT, et l'un de ceux qui ont été le plus largement ratifiés. Visant les personnes de tous âges, elle protège les enfants contre le travail forcé ou obligatoire et est applicable à certaines des formes les plus inacceptables de travail des enfants, comme leur mise en servitude et leur exploitation à des fins de prostitution et de pornographie. C'est d'ailleurs pourquoi la Commission d'experts et la Commission de la Conférence abordent souvent la question du travail forcé ou obligatoire des enfants à l'occasion du contrôle de l'application de cette convention par tel ou tel Etat Membre.

En 1994, la Commission d'experts a fait part des graves préoccupations que lui cause le travail forcé des enfants, et notamment leur exploitation à des fins de prostitution et de pornographie. Elle a déclaré à diverses reprises que l'exploitation des enfants par le travail forcé était l'une des pires formes de travail forcé, et qu'elle devait être combattue énergiquement et sanctionnée sévèrement. Elle a demandé que des mesures soient prises, non seulement par les pays où sévit cette exploitation, mais aussi par les autres, de façon à contribuer à l'élimination de ces pratiques, particulièrement en ce qui concerne les abus commis par les touristes et les voyageurs étrangers. De son côté, le Groupe de travail des Nations Unies sur les formes contemporaines d'esclavage a décidé de considérer la vente et l'exploitation sexuelle des enfants comme une forme contemporaine d'esclavage, tandis que la Commission d'experts a noté en 1995 que le travail des enfants pouvait souvent être assimilé au travail forcé ou obligatoire. Aussi les pays qui n'ont pas ratifié les conventions sur le travail des enfants mais qui ont ratifié celles qui portent sur le travail forcé sont-ils comptables à ce titre.

On pourrait donc craindre que de nouveaux instruments fassent double emploi avec la convention sur le travail forcé. En fait, une nouvelle convention visant expressément le travail forcé des enfants ne diminuerait aucunement l'importance de la convention n° 29, non plus que les obligations des Etats qui l'ont ratifiée. Une nouvelle convention permettrait d'œuvrer plus directement et plus efficacement à la suppression des formes les plus inacceptables et les plus dangereuses de travail des enfants telles qu'esclavage, travail forcé, servitude et servage. Les principes d'application énoncés par les organes de contrôle de l'OIT au sujet de la convention n° 29 vaudraient également pour le nouvel instrument. Quand plusieurs conventions régissent le même domaine, les organes de contrôle ont pour pratique d'examiner la question au regard de l'instrument le plus récent ou le plus spécifique.

Ratification des conventions pertinentes

Il existe donc toute une série de conventions qui ont une incidence sur le problème des enfants employés à des activités dangereuses ou astreints au travail forcé. La grande majorité des Etats Membres de l'OIT (133 sur 173) ont ratifié au moins une des onze conventions relatives à l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail, s'engageant ainsi à prendre des mesures concernant certains aspects du travail des enfants dans telles ou telles branches d'activité. Aujourd'hui, 49 pays ont ratifié la convention no 138 (voir tableau 2 et annexe), chiffre assez élevé par rapport aux autres conventions adoptées de 1970 à 1974. Cependant, seuls 21 pays en développement l'ont fait, parmi lesquels on ne compte aucun pays d'Asie, continent où se trouvent pourtant plus de la moitié de tous les enfants qui travaillent. La convention n° 138 est l'un des instruments fondamentaux de l'OIT et reste l'un des piliers d'une politique cohérente de lutte contre le travail des enfants au niveau national. Cependant, le Bureau sait par expérience que certains Etats Membres la jugent trop complexe et trop difficile à appliquer en détail, et qu'il y a là un obstacle à sa ratification. Il va donc s'efforcer plus activement de faciliter celle-ci en offrant des conseils techniques et en faisant mieux comprendre les dispositions de l'instrument ainsi que les possibilités de faire jouer ses clauses de souplesse. Toutefois, on estime généralement que la ratification restera problématique pour de nombreux pays et qu'il y aurait lieu d'élaborer un nouvel instrument ayant pour thème propre les formes extrêmes de travail des enfants, qui viendrait compléter la convention n° 138.

Autres instruments internationaux

Un bon nombre d'autres instruments internationaux intéressent le travail des enfants et la protection de ceux-ci contre les situations les plus inacceptables. Il faut citer avant tout la Convention des Nations Unies de 1989 relative aux droits de l'enfant (entrée en vigueur le 2 septembre 1990 et ratifiée par 187 Etats au 31 juillet 1996). Cette convention, qui est l'instrument international le plus complet en la matière, définit l'enfant comme un être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt. Elle vise à défendre toute une série de droits de l'enfant, dont celui d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social. Elle fait obligation aux Etats parties de prendre des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives en vue de son application, et en particulier a) de fixer un âge minimum ou des âges minimums d'admission à l'emploi; b) de prévoir, une réglementation appropriée des horaires de travail et des conditions d'emploi; c) de prévoir des peines ou autres sanctions appropriées pour assurer l'application effective de ses dispositions. Le BIT communique régulièrement des informations sur l'application des dispositions pertinentes de cet instrument au Groupe de travail de présession du Comité des droits de l'enfant, qui examine les rapports des Etats parties relatifs à son application.

Certains articles de la convention concernent d'autres formes extrêmes de travail des enfants, par exemple l'exploitation et la violence sexuelles, l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants à quelque fin que ce soit et toutes autres formes d'exploitation préjudiciables à tout aspect de leur bien-être. Elle invite les Etats à prendre toutes les mesures appropriées pour faciliter la réadaptation physique et psychologique et la réinsertion sociale de tout enfant victime de toute forme de négligence, d'exploitation ou de sévices. Le droit de l'enfant à l'éducation est aussi reconnu par la convention, qui dispose que l'enseignement primaire devrait être obligatoire et gratuit pour tous.

Les autres principaux instruments internationaux qui intéressent le travail des enfants sont le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (entré en vigueur le 3 janvier 1976 et ratifié par 133 Etats), dont certaines dispositions portent sur l'enseignement primaire obligatoire et gratuit, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (entré en vigueur le 23 mars 1976 et ratifié par 132 Etats), qui vise à interdire l'esclavage, le servage et le travail obligatoire, ainsi qu'à protéger les mineurs, la Convention supplémentaire relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage (entrée en vigueur le 30 avril 1957 et ratifiée par 114 Etats), qui traite de la servitude pour dettes des enfants, et la Convention pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui (entrée en vigueur le 25 juillet 1951 et ratifiée par 70 Etats).

Notes

1Il s agit de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations (appelée ici la «Commission d'experts») et de la Commission de l'application des conventions et recommandations' organe tripartite de la Conférence internationale du Travail (appelée ici la «Commission de la Conférence»). La Commission d'experts est constituée d'experts indépendants chargés de l'examen technique des rapports soumis par les gouvernements à l'OIT et d'autres informations relatives à l'application des normes de l'Organisation. Son rapport est examiné par la Commission de la Conférence, qui fait elle-même rapport à la Conférence.

2C'était la première fois qu'une convention sur l'âge minimum faisait référence à la politique nationale.

3Il ressort des travaux préparatoires qui ont précédé l'adoption de ces instruments que cette disposition tendait à éviter, autant que possible, que les enfants non aptes à l'emploi dans un secteur bien réglementé soient employés dans des branches où les nommes sont basses, ce qui reviendrait simplement à canaliser le travail des enfants vers un autre secteur au lieu de le réduire ou de l'abolir.

4La convention (no 177) sur le travail à domicile, adoptée en 1996, appelle les Etats Membres à promouvoir l'égalité de traitement entre les travailleurs à domicile et les autres travailleurs salariés, notamment en matière d'âge minimum tandis que la recommandation qui l'accompagne préconise l'adoption de programmes d'élimination du travail des enfants.

3. L'âge minimum de base

La quasi-totalité des pays se sont dotés d'une législation visant à interdire l'emploi des enfants n'ayant pas atteint un certain âge et à réglementer les conditions de travail de ceux qui l'ont atteint. Nombre d'entre eux ont fixé un âge plus élevé pour les travaux dangereux, interdisant certaines activités aux jeunes de moins de 18 ans. Des lacunes demeurent cependant, surtout en ce qui concerne le champ d'application de ces lois et leur mise en service concrète. Les prescriptions légales restent fréquemment lettre morte, parfois faute des ressources nécessaires pour en assurer le contrôle et l'application, parfois faute de volonté politique, mais souvent simplement parce que les autorités sont désarmés face à un phénomène qui est largement invisible et qui prospère sur des fléaux sociaux aussi profondément enracinés que la pauvreté, la discrimination et les préjugés culturels.

Fixation d'un âge minimum d'admission à l'emploi

L'examen de la législation de 155 Etats Membres de l'OIT a permis de constater que, si la plupart des pays ont adopté une législation prévoyant un âge minimum de base pour l'admission des enfants à l'emploi ou au travail, nombre d'entre eux ne se conforment pas à la convention n° 138 qui prescrit de fixer un âge minimum unique pour l'admission à tous les types d 'emploi ou de travail: seuls 33 pays (soit un cinquième du total) l'ont fait, et cela n'est pratique courante qu'en Europe. La formule habituelle consiste à fixer un âge minimum qui ne s'applique qu'à certains secteurs ou activités. Une autre formule, pour laquelle ont opté un quart environ des pays étudiés, consiste à fixer des âges différents pour divers secteurs économiques, tout en excluant totalement certains secteurs ou activités.

La plupart des pays examinés se conforment à l'esprit de la convention n° 138, puisque 45 environ d'entre eux fixent à 15 ans l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail, et 37 autres à 14 ans. La limite de 15 ans a cours surtout en Europe et celle de 14 ans dans le reste du monde. L'âge minimum est de 16 ans dans 23 pays et de 15 à 16 ans dans quatre autres. Ainsi, 122 pays au minimum disposent d'une législation interdisant le travail des enfants de moins de 14 ans, au moins dans certains secteurs.

Dans 30 pays, en revanche, les enfants de moins de 14 ans ont le droit de travailler et dans six, l'âge minimum est de 12 ans. C'est en Afrique et en Asie que la fourchette est la plus large: l'âge minimum y varie de 12 à 16 ans. Elle l'est moins en Europe: 14 à 16.

Si certains secteurs échappent parfois à la réglementation relative à l'âge minimum, I'industrie, elle, n'en est jamais exclue. En revanche, l'agriculture l'est dans 38 des pays considérés, situés pour la plupart en Asie. Le commerce est exclu de la réglementation générale relative à l'âge minimum dans 17 pays, tandis que dans 13 autres l'autorité compétente peut décider d'autres exceptions.

Certains types d'entreprises ou d'activités sont parfois aussi exclus. L'une des exclusions les plus courantes — elle est prévue dans une soixantaine de pays — porte sur les entreprises familiales, définies de manière plus ou moins large. Une autre, également fréquente, concerne les services domestiques. On trouve en outre, dans divers pays, les exclusions suivantes: entreprises employant moins d'un certain nombre de salariés (souvent dix); apprentis; travailleurs indépendants; travailleurs à domicile; travailleurs temporaires ou occasionnels. Enfin, dans la grande majorité des pays — 135 —,1'autorité compétente peut accorder des dérogations.

Il existe deux grandes exceptions aux dispositions générales de la convention n° 138 concernant l'âge minimum: les «travaux légers», pour lequels l'âge minimum peut être plus bas, et les emplois et travaux dangereux, pour lesquels il doit être plus élevé. Quoique le présent rapport traite surtout des activités dangereuses, il convient d'examiner la manière dont les différentes législations nationales interprètent les termes « travaux légers ».

La moitié environ des pays étudiés autorisent les enfants d'un âge inférieur au minimum général à effectuer certains types de travaux légers (voir au tableau 3 le résumé des dispositions législatives nationales à ce sujet). Si 13 pays soustraient certains types de travaux légers à toute restriction, la majorité fixe prévoit pour ces travaux, un âge minimum de 12, 13 ou 14 ans. Un pays, le Liban, fixe cet âge à 8 ans pour les enfants exécutant certaines tâches légères « adaptées à leur âge », sans plus de précision. Sur le plan régional, l'âge minimum de 12 ans est le plus fréquent dans les Amériques et en Afrique, contre 13 ou 14 en Europe.

Une vingtaine seulement des pays qui abaissent l'âge minimum pour les travaux légers soumettent cette exception à l'ensemble des conditions prévues par la convention n° 138, à savoir que les travaux ne doivent pas risquer de porter préjudice à la santé des enfants ou à leur développement, qu'ils ne doivent pas nuire à leur instruction, ne doivent pas être effectués durant les heures de classe et ne doivent pas dépasser les horaires expressément prévus. La législation nationale dispose fréquemment que, pour être autorisés, les travaux en question doivent être effectués dans une exploitation familiale ou sous la surveillance des parents. Trente-quatre pays autorisent tous les types de travaux légers, tandis que 21 abaissent l'âge minimum pour les travaux légers se rapportant à l'agriculture, à l'horticulture ou aux plantations — à 12 ans pour la grande majorité d'entre eux et à 13 ans pour trois pays, tandis que sept autres ne prévoient aucune limite. Dix-sept pays autorisent les travaux légers à caractère non industriel.

Si 43 pays excluent les services domestiques de la législation relative à l'âge minimum, 15 autres les considèrent comme des « travaux légers », six restreignent les heures de travail et trois stipulent que ces travaux ne doivent pas nuire à l'éducation. Huit pays, enfin, les soumettent à l'autorisation de l'autorité compétente.

Selon de nombreux gouvernements, la difficulté de définir les «travaux légers» ou de réglementer les conditions dans lesquelles ils sont autorisés constitue l'un des principaux obstacles à la ratification de la convention n° 138.

L'enseignement obligatoire

L'enseignement obligatoire est de longue date l'un des moyens les plus efficaces de lutter concrètement contre le travail des enfants, lesquels, à l'évidence, risquent moins de travailler à plein temps ou presque lorsqu'ils vont en classe. A l'inverse, les enfants qui ne sont pas obligés d'aller à l'école ou n'en ont pas la possibilité sont pratiquement contraints de travailler pour ne pas tomber dans la mendicité ou dans la délinquance, voire pire encore. Outre qu'elle protège les intéressés contre les activités ou conditions de travail qui leur sont préjudiciables, la législation sur le travail des enfants vise à garantir que leur éducation et leur développement ne seront pas compromis. Ainsi, la législation sur l'enseignement obligatoire et la législation sur l'âge minimum se renforcent mutuellement, l'application de l'une contribuant à l'application de l'autre. C'est pourquoi la convention n° 138 établit expressément un lien entre l'âge minimum d'admission à l'emploi et celui de la fin de la scolarité obligatoire.

Ce lien apparaît dans les législations de la plupart des pays industriels, qui fixent deux âges à peu près identiques dans ces deux domaines ou subordonnent l'accès à l'emploi à la fin de la scolarité obligatoire. Il peut d'ailleurs contribuer à l'application de la loi. Par exemple, certains pays font obligation à l'employeur d'obtenir un permis de travail pour les enfants d'un âge donné, permis qui ne peut être délivré que par les autorités scolaires et eu égard à la réglementation applicable, notamment en matière de scolarité obligatoire. Ailleurs, c'est l'administration du travail qui est chargée de délivrer les permis, sous réserve de l'accord des parents et des autorités scolaires. Le lien ainsi créé entre les autorités du travail et les autorités scolaires contribue de manière essentielle à la réalisation des deux objectifs sociétaux que sont l'enseignement universel et l'élimination du travail des enfants. L'un des aspects importants de la législation sur l'enseignement obligatoire est ainsi qu'elle contraint les parents à envoyer leurs enfants à l'école.

Bien entendu, cette législation est dénuée de sens si les moyens scolaires sont insuffisants ou si, pour des raisons financières ou autres, les familles pauvres n'y ont pas accès. Pour lutter efficacement contre le problème du travail des enfants dans sa globalité, il faut donc engager les ressources nécessaires pour offrir à tous les enfants un enseignement gratuit et obligatoire jusqu'à l'âge du travail.

4. La législation nationale concernant les activités dangereuses

Interdiction d'employer des enfants à des activités dangereuses

La convention (n° 138) sur l'âge minimum, 1973, de l'OIT prévoit un âge minimum pour tout type d'emploi ou de travail qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles ils s'exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescents. C'est dans cette acception que les termes activité ou travail «dangereux» s'entendent dans le présent rapport, et ce sont ces formes de travail qui constituent la cible essentielle de l'action urgente et énergique que propose l'OIT.

La lutte contre le travail des enfants doit pouvoir s'appuyer sur une législation efficace. Quand les abus sont particulièrement choquants, comme c'est souvent le cas lorsque des enfants sont employés à des tâches ou dans des conditions dangereuses, les recours et sanctions prévus par la loi sont parfois le seul moyen d'y mettre un terme sans délai et d'indemniser les victimes. C'est pourquoi l'action législative menée au niveau national pour interdire l'emploi des enfants à des activités dangereuses doit avoir pour point de départ la fixation sans équivoque d'un âge minimum, lequel, aux termes de la convention (n° 138) sur l'âge minimum, 1973, ne doit pas être inférieur à 18 ans.

Il est important aussi que la législation définisse les activités jugées dangereuses. Comme on l'a vu au chapitre 1, les dangers liés au travail sont multiples. Il en est d'évidents et immédiats, comme les risques physiques que l'on rencontre par exemple dans le bâtiment ou la verrerie. Il en est d'imperceptibles, qui n'apparaissent qu'après une longue période d'exposition, comme ceux qui sont causés par les produits chimiques et les radiations. Il y a aussi les risques psychologiques liés à divers types de mauvais traitements, comme il s'en produit dans les services domestiques. Il y a encore les dangers physiques et moraux à longue échéance, comme ceux auxquels les enfants sont exposés dans les bars et lieux de spectacles, où se mêlent travail et prostitution. En bref, les risques sont nombreux et divers, et ils ont souvent des sources multiples.

De même que la nature et la gravité des dangers auxquels sont exposés les enfants varient selon le secteur, l'industrie ou l'activité, les mesures prises varient selon les particularités de chaque pays: elles seront axées sur les activités extractives dans un pays à production minière comme la Colombie, sur la pêche hauturière dans un pays insulaire comme les Philippines, sur les services domestiques dans les pays très pauvres comme le Bangladesh, Sri Lanka ou le Togo, ou sur l'industrie du spectacle dans des pays comme la Thaïlande, le Mexique et le Kenya. L'une des premières choses à faire est donc de répertorier les activités qui, en raison des dangers manifestes qu'elles présentent, doivent être interdites aux enfants. Pour cela, il convient de mettre en place un système de consultations entre gouvernements, employeurs, travailleurs, groupements communautaires, organes professionnels, organisations non gouvernementales et groupements confessionnels intéressés. En outre, la liste des activités et secteurs dangereux devra être contrôlée et mise à jour en fonction des innovations techniques, de l'évolution industrielle et de l'apparition de nouveaux risques.

Les informations présentées ci-après, qui montrent comment la notion de travail dangereux pour les enfants est conçue dans les différents pays, s'appuient sur un examen de la législation de 155 Etats Membres de l'OIT.

Le fait que l'immense majorité des pays considérés aient adopté des dispositions qui limitent strictement les possibilités d'employer des enfants à des activités dangereuses montre bien que le monde est conscient de l'impérieuse nécessité d'agir à cet égard.

La majorité des pays (76) estiment que 18 ans est l'âge minimum approprié pour certaines activités dangereuses, tandis qu'un certain nombre ont opté pour 16 ou 17 ans. Quelques-uns ont fixé un âge plus élevé (jusqu'à 21 ans) ou plus bas ( 14 ou 15 ans). Cinq pays ne paraissent pas avoir réglementé cette question.

La convention n° 138 elle-même ne précise pas quels sont les types de travaux jugés dangereux, car une telle mention dans un instrument international contraignant risquerait d'être limitative et d'être vite dépassée. Cependant, elle prévoit que ces travaux devront être déterminés par la législation nationale ou l'autorité compétente, après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs.

La législation et la pratique des divers pays varient beaucoup quant aux restrictions qu'elles apportent aux possibilités d'employer des jeunes à des travaux dangereux. Parfois, la définition mentionne seulement en termes généraux les tâches «dangereuses, salissantes, insalubres ou préjudiciables à la moralité», ou figure dans un règlement distinct. Parfois, au contraire, les activités dangereuses sont énumérées en détail. Comme le montre l'encadré ci-après, les domaines qui sont le plus communément soumis à une interdiction ou à un âge minimum plus élevé sont les travaux souterrains, le travail maritime (particulièrement celui des soutiers et chauffeurs), le travail sur des machines en mouvement, les travaux entraînant le maniement d'explosifs ou de substances nocives et les travaux liés à la métallurgie du plomb et du zinc.

Quelques pays définissent la notion de travail dangereux dans leur législation générale. Au Mexique, il s'agit des travaux qui, en raison de leur nature ou des conditions physiques, chimiques ou biologiques du milieu dans lequel ils sont effectués ou de la composition des matières premières utilisées, risquent de compromettre la vie, le développement et la santé physique et morale des jeunes. La Slovénie interdit les travaux qui risquent d'avoir une influence nocive sur la santé et le développement des enfants et de nuire gravement à leur santé, et la Suède, ceux qui présentent un risque d'accidents, exigent des efforts excessifs ou risquent de nuire d'une façon quelconque à leur santé ou à leur développement. Introduisant un élément de plus, Sainte-Lucie interdit toute tâche présentant des risques non seulement pour la vie, l'intégrité physique et la santé mais aussi pour l'éducation.

Quelques pays définissent séparément les travaux dangereux et les travaux insalubres. Le Code du travail d'El Salvador, par exemple, définit les travaux insalubres comme étant ceux qui, de par leur nature risquent de nuire à la santé du travailleur ou de lui être préjudiciable en raison des substances utilisées ou produites (matériaux toxiques, gaz, vapeurs et effluves nocifs et poussières dangereuses ou toxiques), ainsi que tous ceux qui sont désignés comme tels dans les lois, règlements, conventions collectives, contrats individuels ou règlements d'entreprise applicables. Les travaux dangereux, quant à eux, sont définis comme ceux qui risquent de provoquer la mort ou une lésion immédiate en raison de leur nature, des substances utilisées et des résidus produits ou de la manutention et du stockage de substances corrosives, inflammables ou explosives. Le Code du travail du Honduras contient des dispositions similaires.

Habituellement, toutefois, les travaux dangereux sont définis en termes généraux comme ceux qui menacent la santé, la sécurité ou la moralité des enfants, selon les termes de la convention n° 138. Dans quelques pays, on parle de travaux particulièrement dangereux ou susceptibles d'être dangereux pour la sécurité, la santé ou la moralité Aux Etats-Unis, par exemple, l'expression «exploitation de la main d'œuvre juvénile» désigne tout travail reconnu par le ministère d Travail comme particulièrement dangereux pour les adolescents de 16 . 18 ans ou préjudiciables à leur santé ou à leur bien-être.

Souvent aussi — c'est le cas dans 33 pays —, il est question des travaux physiquement pénibles pour les jeunes ou disproportionnés avec leurs forces.

La notion d'emploi ou de travail dangereux peut s'étendre aux situations où l'inexpérience ou le manque de maturité risque de menacer la sécurité d'autrui. En Finlande, par exemple, les travaux qui imposent une tension ou des responsabilités excessives ou qui impliquent la responsabilité de la sécurité d'autrui sont interdits aux jeunes de moins de 18 ans. En Allemagne, la même limite s'applique aux travaux qui comportent des risques d'accident en raison de la conscience insuffisante des dangers ou du manque d'expérience des jeunes travailleurs.

Une autre approche consiste à définir les risques liés au milieu physique auxquels les enfants ne doivent pas être exposés. Les risques peuvent inclure la lumière, le bruit, les vibrations, l'humidité et l'air sous pression. Quelques pays mentionnent les risques ergonomiques qui sont particulièrement nocifs pour les enfants. En Chine, par exemple, il est interdit aux jeunes de moins de 18 ans d'effectuer des tâches exigeant le maintien d'une certaine posture — pencher la tête, se courber ou s'accroupir — pendant un long moment ou la répétition du même geste plus de 50 fois.

Très peu de pays, cependant, énoncent exclusivement des interdictions générales, et l'immense majorité d'entre eux énumèrent de manière plus ou moins détaillée les agents et produits auxquels les enfants ne doivent pas être exposés. En Inde, il existe une nomenclature des professions et activités dangereuses, qui peut être modifiée par le gouvernement moyennant un certain préavis. Par ailleurs, la loi prévoit la création d'une commission technique consultative sur le travail des enfants, chargée de conseiller le gouvernement sur les professions et activités à ajouter à cette nomenclature. Certains pays de l'Union européenne complètent la liste des agents nocifs en renvoyant aux directives communautaires ou à leurs règlements d'application.

La plus large catégorie d'interdictions législatives est celle qui vise certaines industries, professions ou activités. Là encore, certains pays laissent le choix des restrictions à l'autorité administrative. Ainsi, le ministère du Travail des Etats-Unis a pris au titre de la loi fédérale sur les normes de travail équitables, 17 règlements sur les professions dangereuses qui s'appliquent aux jeunes de moins de 18 ans exerçant des activités non agricoles (des règles distinctes s'appliquent à l'agriculture). Certains textes sont fort complexes, comme en témoigne le règlement pris dans ce domaine par le ministère du Travail et de l'Emploi des Philippines, en vertu duquel 9 groupes de professions et de multiples professions particulières sont interdits aux jeunes.

Les travaux dangereux les plus fréquemment interdits concernent surtout les industries extractives, le travail maritime, le travail sur machines en mouvement, le déplacement de lourdes charges, la construction et la démolition, les transports et spectacles.

Interdiction du travail forcé et du travail en servitude

La Constitution ou la législation du travail de la plupart des pays interdisent le travail forcé. Deux pays, l'Inde et le Pakistan, se sont dotés d'une législation visant expressément à proscrire le travail en servitude.

Dans la plupart des pays, les dispositions constitutionnelles relatives aux droits fondamentaux proclament que nul ne sera maintenu en esclavage ou en servitude, ne sera contraint d'effectuer un travail forcé ou obligatoire, ou ne sera tenu d'effectuer des tâches ou de rendre des services personnels sans son plein consentement et sans une rémunération équitable. Certaines constitutions traitent la question du travail forcé dans le cadre des dispositions générales sur le droit au travail, disposant que chacun a le droit de choisir librement son travail et que le travail non volontaire est interdit, ou encore que le travail est une obligation pour tous, mais que nul ne peut être contraint illégalement à exercer une activité donnée.

La Constitution de l'Inde interdit une forme de travail forcé appelée begar, définie comme un travail ou un service exigé, sans rémunération, par le gouvernement ou une personne en situation d'autorité. Le Honduras apparaît comme le seul pays où la Constitution elle-même interdit expressément la servitude des enfants. Elle déclare en effet que tout enfant doit être protégé contre toute forme d'abandon, de cruauté et d'exploitation et qu'aucun enfant ne peut être soumis à une servitude quelconque. Les contrevenants à cette disposition sont passibles de sanctions en vertu de la loi.

Dans de nombreux pays, la législation générale du travail traite du travail forcé ou obligatoire. Les définitions qui en sont données coïncident souvent avec celle de la convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930, de l'OIT, selon laquelle l'expression «travail forcé ou obligatoire» désigne tout «travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré ». Sont toutefois exclus les travaux ou services exigés en vertu des lois sur le service militaire, les obligations civiques normales, les travaux ou services exigés comme conséquence d'une condamnation prononcée par une décision judiciaire et les cas de force majeure.

Si la plupart des législations interdisent le travail forcé ou obligatoire en termes généraux, certaines sont plus détaillées. Il en est, par exemple, qui prévoient des sanctions contre toute personne qui exige ou impose un travail forcé ou qui fait ou laisse exiger ou imposer un tel travail pour son bénéfice ou celui de toute autre personne, tandis que d'autres interdisent aux agents publics de contraindre la population placée sous leur autorité ou un membre quelconque de cette population à travailler pour tout particulier, entreprise ou association.

Dans la moitié environ des pays où l'interdiction du travail forcé est énoncée par la législation générale du travail, des sanctions sont expressément prévues en cas d'extorsion illicite de travail ou pour toute forme de contrainte illicite. La législation du travail dispose en général que toute personne qui exige ou permet qu'on exige du travail forcé est coupable d'une infraction et est passible d'une amende et (ou) d'une peine de prison de plusieurs mois ou années. En République de Corée, par exemple, toute personne qui enfreint les dispositions relatives à l'emploi des travailleurs en recourant à la violence, aux menaces, à la séquestration illégale ou à toute autre forme de contrainte mentale ou physique est passible d'une peine de prison d'un maximum de cinq ans ou d'une amende d'un maximum de 30 millions de won. L'inspecteur du travail qui se rend complice d'une telle infraction est passible d'une peine de prison d'un maximum de trois ans ou de la suspension de ses droits civils pour une période maximale de cinq ans.

Dans certains pays, tout fonctionnaire ou individu chargé d'une mission de service public qui astreint une personne au travail forcé dans un but autre que l'intérêt public est passible d'une peine de prison et (ou) d'une amende en vertu du Code pénal. Dans d'autres pays, cette disposition a un caractère plus général. Ainsi, le Code pénal de Bahreïn dispose que quiconque soumet des personnes au travail forcé en vue d'une tâche déterminée ou retient sans motif valable tout ou partie de leur salaire est passible d'une peine d'emprisonnement et (ou) d'une amende.

En 1976 et 1992, 1'Inde et le Pakistan se sont respectivement dotés d'une législation visant expressément l'abolition du travail en servitude.

En Inde, le système du begar sévit sous des formes invisibles dans divers Etats. Les efforts visant à l'abolir remontent à une loi de 1843 et, depuis cette époque, diverses résolutions et déclarations gouvernementales ont été adoptées à ce sujet, pour aboutir à la loi de 1976 sur l'abolition du travail en servitude.

Cette loi dispose que le travail en servitude est aboli et que tout travailleur en servitude est libéré et déchargé de toute obligation d'effectuer un travail quelconque de ce type. Elle prévoit la création de comités de vigilance qui comprennent des membres des castes et tribus reconnues ainsi que des travailleurs sociaux et sont chargés d'émettre des avis sur l'application de la loi, de veiller à la ré insertion économique et sociale des travailleurs libérés, de coordonner l'action des banques rurales et des sociétés coopératives en vue de fournir les crédits nécessaires à ces travailleurs et de défendre en justice ceux à qui l'on réclame le remboursement des dettes gagées par le travail en servitude. En vertu du règlement de 1976 sur l'abolition du travail en servitude, les registres tenus par les comités de vigilance doivent mentionner le nom et l'adresse des travailleurs en servitude qui ont été libérés et la liste complète des avantages dont ils bénéficient: terres, facteurs de production agricoles, formation à l'artisanat et aux métiers connexes, crédit. En vertu des mesures d'application de cette loi, l'astreinte au travail en servitude, les prêts gagés sur le travail en servitude et l'observation de tous usages, traditions, contrats, accords ou autres instruments exigeant la prestation de services sous forme de travail en servitude sont passibles d'une peine de prison d'un maximum de trois ans et d'une amende. La loi prévoit également diverses mesures que les autorités des Etats doivent prendre pour punir les contrevenants.

De même, au Pakistan, la loi de 1992 sur l'abolition du travail en servitude proclame l'abolition de cette forme de travail et dispose que tout travailleur en servitude est libéré et déchargé de toute obligation d'effectuer un quelconque travail de ce type. Le recouvrement de tout ou partie d'une dette gagée sur le travail en servitude ne peut faire l'objet d'aucun procès ni d'aucune procédure judiciaire devant les cours et tribunaux civils ou toute autre autorité. La loi prévoit des mesures spéciales d'application, notamment la création de comités de vigilance de district, composés de représentants élus de la région ainsi que de représentants de l'administration du district, du barreau, de la presse, des services sociaux et des départements du travail fédéral et provincial. Ces comités sont chargés de conseiller l'administration du district sur les questions relatives à l'application de la loi, à la ré insertion des travailleurs libérés, au contrôle de l'application de la loi et à l'aide à apporter aux travailleurs en servitude pour réaliser ses objectifs. En vertu du règlement de 1995 sur l'abolition du travail en servitude, les gouvernements provinciaux doivent mettre en place une ou plusieurs autorités chargées de la restitution des biens des travailleurs en servitude et conférer à chaque magistrat de district le pouvoir d'inspecter les établissements que l'on soupçonne de pratiquer le travail en servitude. Ils doivent aussi créer des comités de vigilance chargés de veiller à l'application de la loi et un fonds destiné à financer les mesures d'aide aux travailleurs concernés. Le fait d'astreindre quelqu'un au travail en servitude ou d'exiger un tel travail au titre du système du travail en servitude est passible d'une peine de prison de deux à cinq ans et (ou) d'une amende de 50000 roupies.

Lutte contre la prostitution des enfants, le tourisme sexuel, la vente et la traite d'enfants et la pornographie enfantine

Il est criminel d'obliger des enfants à se prostituer, de les utiliser dans des activités pornographiques, de les vendre ou d'en faire la traite et ces agissements doivent donc être punis avec la plus extrême sévérité. Si le BIT s'intéresse à ces agissements odieux, c'est parce qu'ils ne sont pas seulement des crimes, mais qu'ils sont aussi une forme d'exploitation économique qui, certes, n'a rien à voir avec la notion classique du travail car elle s'apparente au travail forcé et à l'esclavage. Toute nouvelle norme internationale sur les formes extrêmes d'exploitation du travail des enfants doit expressément viser l'abolition de leur exploitation sexuelle à des fins commerciales.

C'est un problème à la fois grave et complexe. Certaines formes de violence à l'égard des enfants n'ont pas une dimension économique ou commerciale directe ou évidente. Mais il y a indéniablement un lien très étroit entre la pédophilie ou la violence sexuelle en général et l'utilisation, à des fins commerciales, d'enfants pour satisfaire ces vices. Protéger efficacement les enfants requiert donc l'application concertée, aux niveaux national et international, de toute une série de mesures législatives qui débordent très largement le cadre du droit du travail.

Cette section décrit les différentes approches adoptées par les gouvernements pour protéger les enfants contre la prostitution, le tourisme sexuel, la vente et la traite, et la pornographie.

L'arme la plus utilisée contre la prostitution des enfants' est le droit pénal, qui permet à la foi de dissuader et de réprimer.

Dans la plupart des pays, le droit pénal protège les enfants de la prostitution, même s'il ne contient pas de dispositions spécifiques à ce sujet. La législation générale qui interdit la prostitution s'applique aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Toutefois, les peines sont généralement plus lourdes quand les victimes sont des mineurs.

Certains pays ont adopté soit des dispositions spécifiques sur la prostitution enfantine, soit des dispositions sur l'exploitation sexuelle des enfants ou la violence à leur égard qui englobent la prostitution. Ainsi, le Sri Lanka a récemment amendé son Code pénal afin d'y inclure des dispositions relatives à l'exploitation sexuelle et à la traite des enfants (voir encadré). La loi adoptée il y a peu aux Philippines pour réprimer l'exploitation des enfants (mauvais traitements, discrimination) contient un article spécial sur la prostitution et les sévices sexuels (voir encadré). A Saint-Kitts-et-Nevis, la loi n° 6 de 1994 instituant le Conseil pour la protection de l'enfance dispose qu'un enfant est victime d'exploitation sexuelle lorsqu'on le contraint à participer à des activités sexuelles — attouchements, prostitution, photographie ou exhibitions indécentes ou pornographiques, autres comportements sexuels — qui mettent en danger ou menacent, ou qui sont susceptibles de mettre en danger ou de menacer, sa santé physique ou psychologique.

Sri Lanka: Code pénal

Article 360 B

1) Toute personne qui

  • en connaissance de cause, autorise un enfant à demeurer en un lieu où i sera abusé sexuellement ou participera à quelque forme d'activité sexuelle que ce soit ou à tous spectacles ou exhibitions obscènes ou indécents
  • procure un enfant à des fins de rapport sexuel ou toute autre forme de violence sexuelle
  • incite, de vive voix, par écrit ou par tout autre moyen, une personne à avoir des rapports sexuels avec un enfant ou à l'exploiter sexuellement de toute autre manière;
  • use de son influence sur un enfant ou de ses liens avec lui pour le livrer à la prostitution ou à d'autres formes d'exploitation sexuelle;
  • rétribue en espèces, en nature ou autrement un enfant ou ses parents pour qu'il se livre à la prostitution ou à d'autres formes d'exploitation sexuelle;

se rend coupable «d'exploitation sexuelle d'enfants», délit passible d'une peine d'emprisonnement [...] qui ne peut être inférieure à cinq ans ni dépasser vingt ans, et qui peut aussi être puni d'une amende.

2) Dans cet article, par «enfant», on entend une personne de moins de 18 ans.

La plupart des pays répriment les relations sexuelles avec des mineurs la majorité étant souvent fixée dans le cas d'espèce à 15 ou 16 ans. Dans certains pays, ces relations relèvent d'actes indécents à l'égard de mineurs ou de la corruption de mineurs. En Thaïlande, les personnes impliquées dans la prostitution d'enfants sont principalement poursuivies pour «acte indécent à l'égard d'un enfant» de moins de 16 ans, qu'il soit ou non consentant. Au Costa Rica et en Colombie, la loi punit toute personne qui incite un enfant de moins de 16 ans à des actes sexuels pervers et prématurés, disposition qui, au Costa Rica, ne concerne toutefois que les mineurs non encore «corrompus». Les inculpés peuvent aussi être condamnés pour viol ou attentat aux mœurs. Le Code pénal népalais considère tout rapport sexuel avec un enfant de moins de 14 ans comme un viol. Aux Philippines, les personnes ayant eu des rapports sexuels avec un enfant prostitué de moins de 12 ans sont poursuivis pour viol ou incitation à la débauche.

Philippines

Loi n° 7610 visant à renforcer la protection des enfants contre les mauvais traitements, l'exploitation et la discrimination

Article III

Violence sexuelle à l'encontre des enfants, notamment prostitution.

5. Les enfants, filles ou garçons, qui, pour de l'argent, un profit ou toute autre considération, ou parce qu'ils y sont contraints ou incités par un adulte, une organisation ou un groupe, se livrent à des rapports sexuels ou à des actes obscènes sont réputés être victimes de violence sexuelle, ce qui inclut la prostitution.

Sont passibles de peines de réclusion pouvant aller jusqu'à la perpétuité les auteurs des actes suivants:

a) organiser la prostitution d'enfants ou la promouvoir, la faciliter ou l'encourager, ce qui inclut, sans s'y limiter:

  • servir d'entremetteur d'enfants prostitués;
  • inciter, de vive voix, par écrit, ou par un autre moyen, une personne à être le client d'un enfant prostitué;
  • user de son influence ou de ses liens avec un enfant pour le prostituer;
  • menacer un enfant ou user de violence à son égard pour le contraindre à se prostituer;
  • payer en espèces ou en nature un enfant qui se prostitue.

Les lois qui condamnent les personnes qui incitent des enfants à des actes sexuels, qui livrent des enfants à la prostitution ou tirent un profit pécuniaire d'activités sexuelles impliquant des enfants sont plus ou moins complexes. En Suède, par exemple, il est interdit d'avoir des rapports sexuels avec un enfant de moins de 15 ans (ou avec une personne à charge de moins de 18 ans). La prostitution adulte n'est pas condamnée, mais l'acte de livrer une personne à la prostitution ou de tirer un profit économique de l'activité sexuelle d'une autre personne l'est. Le fait d'inciter une personne de moins de 18 ans à des actes sexuels est aussi condamné.

Pour combattre la prostitution et la pornographie enfantines, plusieurs pays ont aussi adopté des textes qui s'inspirent de la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies. On peut citer comme exemple les chartes des droits de l'enfant récemment adoptées par le Brésil, Maurice, le Myanmar et le Népal, ainsi que le programme mis en œuvre aux Philippines au titre de la nouvelle loi précitée pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants et la violence sexuelle à leur égard. En 1992 le Népal a adopté une loi qui vise à protéger les enfants de l'exploitation, y compris la prostitution et la pornographie. Les infractions sont punies d'emprisonnement et d'amendes et peuvent éventuellement donner lieu au versement de dommages et intérêts. La loi crée aussi un tribunal pour mineurs.

Dans certains pays, les parents, tuteurs ou autres personnes ayant autorité légale sur l'enfant sont tenus responsables de la conduite de leurs enfants. Quelques pays, mais ils sont rares, tiennent l'enfant qui se livre à la prostitution pour responsable; cependant, de plus en plus nombreux sont ceux qui se rendent compte qu'il faut le considérer comme une victime. Par exemple, le Code pénal islandais (article 206) dispose que gagner sa vie en se prostituant est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement. Mais un projet de loi qui fait de l'enfant prostitué une victime et non plus un coupable est à l'étude.

Deux aspects de la prostitution d'enfants sont en général pénalement incriminés, à savoir profiter de la vulnérabilité de l'enfant pour le forcer à se livrer à des activités sexuelles (qu'il y ait ou non gain pour lui), quel que soit le procédé utilisé (tromperie, incitation, supercherie, coercition), et tirer un profit économique de l'activité sexuelle d'un enfant.

Accepter les services sexuels d'un enfant peut être ou non pénalement incriminé, selon l'âge de l'enfant. Dans plusieurs pays, y compris depuis peu la Belgique, l'Espagne, Maurice, les Philippines, Sri Lanka et l'Ukraine), la limite d'âge est fixée à 18 ans.

Dans beaucoup de pays, la loi prévoit une limite d'âge inférieure à 18 ans, l'enfant étant jugé capable de consentir ou non à des relations sexuelles généralement après la puberté. Dans certains pays, la loi considère aussi qu'il est capable d'offrir de son plein gré des prestations sexuelles et que ce n'est donc pas un délit d'avoir des relations sexuelles avec un enfant ou de recourir aux services sexuels d'un enfant s'il a l'âge prescrit par la loi, c'est-à-dire, le plus souvent, 16 ans mais aussi parfois 14 ou 15 ans. Mais d'autres actes liés à la prostitution — inciter à la prostitution, offrir les services sexuels d'un enfant ou vivre du revenu de la prostitution d'autrui — peuvent être considérés comme des délits, quelle que soit la limite d'âge fixée par la loi, et généralement plus l'enfant est jeune, plus les peines sont lourdes.

La question de l'âge de l'enfant revêt une grande importance. Dans beaucoup de pays, l'accusé fait valoir pour sa défense qu'il pensait que la victime avait l'âge légal. En Belgique, la loi a récemment a été amendée de sorte que cette excuse n'est plus possible et que c'est au prévenu d'apporter la preuve qu'il a été la victime d'une tromperie indécelable (par exemple fausse carte d'identité utilisée par le mineur). Dans des pays comme l'Australie et la Suède, la loi dispose que l'allégation doit être raisonnable compte tenu des circonstances.

Lorsque l'âge légal du mariage est inférieur à l'âge de consentement il est légal de se défendre d'une accusation de relations sexuelles avec un mineur en invoquant le mariage. La loi récemment adoptée en Australie sur le tourisme sexuel impliquant des enfants prévoit cette possibilité mais ajoute que le mariage doit être valide.

A quelques exceptions près, l'exploitation sexuelle des enfants donne lieu à des peines assez sévères qui ont tendance à s'aggraver. Aux Philippines, le Congrès a été saisi d'un projet de loi visant à classer la prostitution enfantine et la pédophilie dans la catégorie des crimes odieux, auquel cas le coupable serait passible de la peine de mort. En Chine, la peine de mort peut aussi être requise dans des circonstances particulièrement graves. Les peines sont en général plus sévères lorsqu'il y a menaces ou violence.

En Espagne, le Code pénal punit la prostitution, la corruption, le viol d'enfants et la violence sexuelle à leur égard et les peines sont aggravées si les personnes qui s'en rendent coupables sont des parents, des grands-parents, des tuteurs ou des enseignants. Parents et tuteurs peuvent être déchus de leurs droits vis-à-vis de l'enfant. Dans d'autres pays, les parents, tuteurs ou personnes à qui sont confiés des enfants, qui contraignent ou autorisent un enfant à, se livrer à la prostitution, sont tenus pénalement responsables: c'est le cas aux Philippines (loi de protection spéciale), à Sri Lanka (ordonnance de 1939)2 et en Uruguay (loi sur le proxénétisme). Au Royaume-Uni, les peines sont aggravées si la victime a moins de 16 ans ou que l'auteur du délit en avait alors la charge.

Comme les délinquants sexuels et en particulier les pédophiles risquent de récidiver, certains pays ont adopté des lois leur interdisant de chercher ou de conserver un emploi qui les mettraient en contact avec des mineurs. La loi canadienne par exemple dispose que le tribunal peut interdire à l'auteur d'un délit sexuel vis-à-vis d'un enfant de se trouver dans des lieux où sont réunis des enfants de moins de 14 ans ou de chercher, ou d'accepter un emploi, rémunéré ou bénévole, supposant que des enfants de moins de 14 ans lui soient confiés ou qu'il ait une autorité sur eux.

L'exploitation sexuelle des enfants est un problème qui a une dimension internationale. Depuis quelques années, le tourisme pédophile se développe. C'est pourquoi des pays de plus en plus nombreux ont modifié leur législation pour pouvoir punir les actes commis par leurs ressortissants contre des enfants à l'étranger et prennent des mesures contre l'organisation de voyages ayant pour but l'exploitation sexuelle d'enfants.

L'une des armes contre le tourisme sexuel est d'appliquer la législation pénale nationale aux actes commis dans un autre pays. Les touristes de pays qui, généralement, n'extradent pas leurs ressortissants pouvaient en toute impunité commettre des crimes envers des enfants: il leur suffisait d'arriver à regagner leur pays d'origine. Cette échappatoire n'est plus possible s'ils peuvent être jugés dans leur pays pour des délits commis à l'étranger.

La possibilité d'appliquer le droit pénal national à des actes commis à l'étranger existe depuis un certain temps dans plusieurs pays, notamment les pays scandinaves. Mais, jusqu'à une période récente, cette possibilité était rarement utilisée — voire pas du tout — et en général uniquement pour le trafic de drogue ou des délits économiques. La Norvège a donné l'exemple en 1990. Elle a été suivie par un certain nombre de pays qui ont modifié leur législation afin qu'elle soit applicable au tourisme sexuel impliquant des enfants: Allemagne (septembre 1993), France (février 1994), Australie (juillet 1994), Etats-Unis (septembre 1994), Belgique (mars 1995), Nouvelle-Zélande (juillet 1995).

Pour que le droit pénal d'un pays s'applique à un acte commis dans un pays étranger, il faut en général que cet acte tombe sous le coup de la loi dans le pays étranger en question. Toutefois, une tendance nouvelle se fait jour, comme par exemple en Belgique et en France où cela n'est plus exigé.

Enquêter dans un pays sur un acte commis dans un autre pays peut toutefois être à la fois compliqué et coûteux. Si l'acte en question n'est punissable dans le pays où il a été commis, on ne peut normalement pas faire intervenir la loi. Il peut aussi être difficile de réunir des preuves si l'on ne peut faire confiance à la police locale. Pour tourner cette difficulté la loi australienne dispose que, dans certaines circonstances, les tribunaux peuvent se contenter de témoignages vidéo, par exemple si la comparution du témoin risque d'entraîner pour lui des dépenses ou des inconvénients disproportionnés ou un traumatisme psychologique susceptible de nuire à la fiabilité de son témoignage.

Un pays peut aussi obtenir le témoignage d'un enfant ou d'une autre personne d'un pays étranger s'il a signé avec ce pays un accord formel ou informel d'assistance mutuelle et si les responsables de l'application de la loi coopèrent. En Thaïlande, la loi d'extradition et la loi d'assistance mutuelle en matière criminelle permettent au Procureur général de prêter assistance à des Etats étrangers. Ainsi, l'ambassade de la République d'Allemagne a demandé au Royaume de Thaïlande d'informer les autorités judiciaires allemandes de tous les délits commis par des citoyens allemands, et cela même s'ils ont déjà quitté le pays, en fournissant toutes les informations susceptibles de faciliter les poursuites.

Une autre approche consiste à pénaliser le tourisme sexuel. Aux Etats-Unis, une nouvelle loi prévoit qu'une personne peut être poursuivie pour tourisme sexuel dès le moment où un voyage est planifié; autrement dit, il n'est pas nécessaire qu'un pédophile soit pris en flagrant délit pour être arrêté, un billet d'avion avec plan de voyage détaillé suffisant pour prouver qu'il y a tourisme sexuel. Au Royaume-Uni, faire de la publicité et organiser des voyages prévoyant des activités sexuelles avec des enfants tombe sous le coup de la loi depuis 1977. Toutes les agences de voyages ont été dûment averties. La Nouvelle-Zélande punit aussi la promotion et l'organisation de voyages de tourisme pédophile.

Si elles ne visent pas spécifiquement le tourisme sexuel, plusieurs dispositions du droit pénal canadien peuvent s'appliquer à certains de ses aspects. Par exemple, des voyagistes et les agences qui organisent du tourisme sexuel peuvent être poursuivis pour proxénétisme. La peine maximale est de dix ans d'emprisonnement. Un voyagiste reconnu coupable peut voir son entreprise saisie.

La collaboration internationale peut aussi prendre la forme d'une coopération entre représentants du pouvoir judiciaire et agents chargés de la répression. En vertu de la loi sur la justice criminelle de 1990, le Royaume-Uni extrade les pédophiles soupçonnés d'avoir commis des délits à l'étranger et la police britannique coopère avec celle d'autres pays en communiquant des informations sur les pédophiles.

La vente et la traite d'enfants relèvent dans la plupart des pays de la législation générale mais, là où des problèmes particuliers se sont posés, des dispositions spécifiques ont été adoptées.

En 1956, l'Inde a adopté une loi sur la répression de la traite des femmes et des fillettes. Cette loi a été amendée en 1986; elle concerne désormais les deux sexes et prévoit des peines aggravées en cas de délits sur des enfants et des mineurs. Le Code pénal punit l'achat ou la vente de toute personne de moins de 18 ans à des fins de prostitution ou d'autres activités sexuelles illégales ou immorales. D'autres pays ont adopté des dispositions spécifiques sur la vente et la traite d'enfants: Belgique, Brésil, Chypre, Costa Rica, Etats-Unis, Hongrie, Maurice, Népal, Philippines, Rwanda, République tchèque. Le Code pénal danois punit la vente d'enfants pour privation de liberté: quiconque prive une personne de sa liberté risque une peine d'emprisonnement allant de un à douze ans.

La sévérité des peines varie considérablement d'un pays à l'autre: de cinq à six ans d'emprisonnement au Brésil; huit à dix ans au Costa Rica; cinq ans maximum plus amendes à Maurice; emprisonnement à vie aux Philippines; minimum vingt ans, maximum emprisonnement à vie, plus amendes, le cas échéant, aux Etats-Unis.

Dans la majorité des pays, la pornographie enfantine fait l'objet de dispositions spécifiques dans la législation. Dans les autres, elle relève des dispositions qui condamnent la pornographie en général ou les publications obscènes ou impudiques ou encore la corruption ou l'attentat aux bonnes moeurs.

Par «enfant», on entend généralement une personne qui n'a pas encore atteint l'âge de consentement. De plus en plus de pays fixent la limite à 18 ans. En Suède, une cour d'appel a défini l'enfant comme une personne de moins de 18 ans, se référant explicitement à la définition consacrée par la Convention relative aux droits de l'enfant. Par conséquent, tout matériel pornographique représentant des jeunes ayant manifestement moins de 18 ans relève de la pornographie enfantine, et il est donc illégal de le diffuser. Au Danemark, selon le Code pénal, une personne peut être poursuivie pour pornographie pour avoir photographié une personne qui, physiquement, paraît avoir moins de 15 ans. En Afrique du Sud, il est proposé que la législation considère comme relevant de la pornographie enfantine toute publication représentant une personne qui a moins de 16 ans ou qui est présentée comme telle.

La définition de la pornographie enfantine porte à la fois sur la représentation de l'enfant et sur le support utilisé. Les approches varient selon les pays. Il n'est pas rare que l'on se contente d'interdire la pornographie enfantine, sans préciser ce que l'on entend par là. Dans certains pays, seule la représentation de rapports sexuels avec un enfant ou autres pratiques sexuelles assimilées est condamnée. D'autres pays, comme les Etats-Unis, considèrent comme de la pornographie toute représentation d'une «conduite sexuellement explicite».

En ce qui concerne le support, les lois se référaient parfois à des «photos indécentes» mais le progrès technique, notamment de l'informatique, oblige à les amender. Par exemple, la nouvelle loi adoptée en 1994 au Royaume-Uni se réfère aux «pseudophotographies» telles que celles visibles sur écran d'ordinateur.

Les techniques de pointe permettent aussi de «construire» de la pornographie enfantine à partir d'autre matériel pornographique, voire de créer de la pornographie «virtuelle» qui ne représente pas une personne réelle. Un autre phénomène inquiétant est la diffusion de la pornographie enfantine sur Internet. Cela pose un problème de taille aux responsables de l'application de la loi qui doivent, pour combattre ce phénomène, établir un réseau mondial de coopération. Seules la jurisprudence ou les lois les plus récentes tiennent compte de ces possibilités techniques pour définir la pornographie enfantine3.

Les lois applicables à la pornographie enfantine distinguent différents stades dans la production et le traitement du matériel pornographique. Il est répréhensible non seulement de produire du matériel pornographique représentant des enfants mais aussi de le diffuser. Ces activités sont normalement sévèrement punies. Dans certains pays, les personnes en possession de ce type de matériel peuvent être poursuivies. Il s'agit d'une tendance relativement récente et encore assez limitée.

La production, la possession et la diffusion de matériel pornographique représentant des enfants entraînent des peines très différentes. La législation des Etats-Unis est une des plus sévères; elle prévoit des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à dix ans ou des amendes allant jusqu'à 100 000 dollars. En France, et dans plusieurs autres pays, la peine est fonction de l'âge de l'enfant. S'il a entre 15 et 18 ans, la peine maximale est d'un an, assortie d'une amende. S'il a moins de 15 ans, la peine peut aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. En Allemagne, les peines vont de six mois à cinq ans de prison. Elles sont plus lourdes si la distribution a des fins commerciales. Dans d'autres cas, la peine peut être ramenée à trois mois. Aux Pays-Bas, la possession de matériel pornographique représentant des enfants est punie d'une peine de prison de trois mois à quatre ans, et la production à des fins commerciales, de six ans de prison. Au Luxembourg, la peine varie d'un an de prison, dans le cas de représentation d'enfants de moins de 18 ans, à cinq ans s'ils ont moins de 15 ans. Au Canada, les personnes qui produisent, vendent ou distribuent du matériel pornographique représentant des enfants ou qui sont, pour ces raisons, en possession de tel matériel, sont passibles d' peine de prison allant de deux à dix ans.

Plusieurs pays ont des réglementations douanières qui interdit l'entrée de matériel pornographique. C'est le cas par exemple du Canada et des Etats-Unis, pays dans lesquels douaniers et policiers travaillent étroite coopération pour combattre le commerce de matériel de ce t: Aux Etats-Unis, le Service des postes est responsable, avec le FBI c Service des douanes, de l'application des lois sur la pornographie enfantine. Le Service des douanes a annoncé l'ouverture, en septem ou octobre 1996, d'un centre d'investigation qui sera chargé de l'aide poursuivre les pourvoyeurs de matériel pornographique sur Internet. D'autres pays s'en remettent principalement aux réglementations douanières, par exemple, l'Afrique du Sud, l'Australie, l'Irlande et Malaisie, l'Irlande tout comme les Etats-Unis contrôlant en outre distribution par le courrier. Au Botswana, tout matériel pornographie peut être saisi. Un petit nombre de pays ont recours à la censure p lutter contre la pornographie enfantine.

La collecte et l'échange systématique d'informations sont important outil de prévention et de dépistage. Il est capital d'établir des statistiques nationales sur les délits, ventilés par âge, par sexe, etc., et ficher les délinquants. Au niveau international, Interpol (Organisation internationale de police criminelle) centralise l'information sur l pédophiles condamnés afin qu'il soit possible d'intervenir plus rapidement. Interpol alerte aussi les autorités nationales des déplacements d pédophiles. Ces informations sont communiquées aux postes frontières-immigration et douanes. Il existe aussi dans certains pays des centres spécialisés et des bases de données qui centralisent l'information.

Il faut aussi que l'information circule au niveau national. Au Canada, les administrations provinciales et territoriales et la police coopère; avec les ONG afin d'évincer les délinquants sexuels connus d'emplois qui les mettent dans une position de confiance ou d'autorité vis-à-vis d'enfants. Ainsi, la police a aidé une ONG qui travaillait avec des enfants des rues à écarter plusieurs candidats à des postes de bénévoles: ils étaient fichés par la police comme pourvoyeurs de petites filles pour la prostitution.

Pour mieux répertorier les actes commis contre des enfants c échanger des informations à ce sujet, 64 pays ont mis en place u système d'agents de liaison. Ces pays échangent diverses information — formation, législation, statistiques, enquêtes en cours — et le communiquent aussi au secrétariat général d'Interpol. La formation de ces agents est axée sur les enfants en tant que victimes et témoins dans les enquêtes. Les pays détachent des agents à l'étranger pour coordonner et faciliter les enquêtes sur les délits commis par leurs ressortissants.

Le secteur privé a pris des initiatives pour que la loi soit mieux appliquée. Certaines associations internationales telles que la Fédération universelle des associations d'agences de voyages (FUAAV), la Fédération hôtelière mondiale et l'Organisation mondiale du tourisme ont lancé des campagnes d'information. En 1994, la FUAAV a élaboré et adopté une charte en vertu de laquelle les agences de voyages s'engagent à lutter contre la prostitution enfantine lice au tourisme sexuel en sensibilisant la profession. A ce jour, 60 agences ont signé cette charte.

Le démantèlement des réseaux de pornographie enfantine et l'application effective des lois d'extraterritorialité supposent une coopération internationale intense, comme il ressort par exemple d'une enquête qui a été menée aux Pays-Bas sur un réseau dans lequel étaient impliqués 15 suspects, 40 victimes et trois pays différents pendant onze ans. Les services postaux des Etats-Unis ont démantelé un vaste réseau basé à Acapulco (Mexique). Au total, 56 personnes ont déjà été arrêtées dans différents Etats, accusées de recevoir — par courrier — des cassettes vidéo pornographiques représentant de jeunes garçons. Des milliers de cassettes ont été saisies. Quelque 300 enfants dont le plus jeune aurait 7 ans auraient été victimes de ce réseau.

Poursuivre un délinquant dans son pays pour des crimes commis à l'étranger entraîne souvent des procédures très longues dont le succès dépend de la bonne volonté et de la compétence des autorités étrangères. Les enquêtes menées dans le premier cas d'application extraterritoriale de la loi pénale suédoise illustrent bien ces difficultés. La police suédoise a étroitement coopéré avec la police thaïlandaise afin que le délinquant soit arrêté. La victime a été entendue par les polices des deux pays: la police suédoise a demandé à la police thaïlandaise de poser certaines questions à la victime afin de pouvoir réunir les preuves exigées par la justice suédoise. L'interrogatoire a été enregistré afin d'éviter à la victime de se rendre en Suède pour témoigner. Le tribunal suédois a estimé que l'enregistrement vidéo contenait des déclarations contradictoires et a donc demandé la comparution de la victime. C'est une ONG qui a payé son billet d'avion. L'accusé a été condamné pour violences sexuelles sur un mineur, y compris pour récidive en 1995.

Des sources officieuses sont souvent utilisées, mais les autorités judiciaires doivent se soumettre à certaines procédures spéciales. Les demandes d'enquête, de production de preuves, de fourniture de documents ou de fichiers doivent normalement passer par la voie diplomatique. Des efforts sont faits pour simplifier les procédure Ainsi, le Service de la prévention du crime et de la justice pénale d Nations Unies a établi un traité type d'assistance mutuelle qui a été adopté par l'Assemblée générale en 1990. La législation nationale prévoit aussi dans certains cas une assistance mutuelle avec d'autres pays en matière criminelle, comme c'est par exemple le cas de Thaïlande.

L'organisme d'aide suédois Rädda Barnen a aidé à produire un carte qui sera jointe aux billets d'avion remis aux voyageurs se rendant en Asie et qui décrit le bon côté du tourisme mais aussi sa face caché Cette carte est distribuée par l'Association suédoise des agences voyages. En France, le secteur du tourisme et plusieurs ministères on mis au point une brochure qui met en garde contre la prostitution enfantine. Plus d'un million d'exemplaires ont été distribués par le agences de voyages.

Le Code pénal canadien autorise le recours à une surveillance électronique dans les affaires de pornographie enfantine. C'est ainsi qu'a été découvert un vaste réseau à London (Ontario). Une équipe spéciale c été créée pour mener une enquête qui a débouché sur l'inculpation de 38 personnes. Des lignes téléphoniques gratuites sont mises à la disposition de toute personne (y compris les victimes) souhaitant dénoncer des agissements suspects. La désignation de médiateurs pour enfants (ombudsman) est une autre façon d'améliorer les méthodes d'investigation. Cette institution, qui tire son origine d'une tradition scandinave, consiste à désigner une personne servant d'intermédiaire entre les particuliers et l'administration. Le médiateur peut avoir diverses fonctions, et notamment celle d'enquêter sur des violations présumées des droits des enfants. En Suède, il existe un ombudsman spécial pour les enfants. Des campagnes d'information sont organisées dans les écoles et les garderies pour faire connaître cette institution aux enfants. D'autres pays ont aussi désigné des médiateurs.

S'occuper des enfants victimes d'exploitation sexuelle demande beaucoup de tact et les policiers ont besoin d'une formation spéciale. Il faut veiller à ce que la procédure reste confidentielle et à ce que l'enfant soit entendu par une personne formée à cet effet afin de limiter le traumatisme infligé à l'enfant. Il faut aussi protéger son témoignage. A cet effet, les Pays-Bas, par exemple, désignent immédiatement un curateur ou autre spécialiste chargé d'aider l'enfant tout au long de l'enquête et du procès. Aux Philippines, les enfants victimes bénéficient d'une protection spéciale, d'une assistance sociale, et des restrictions sont imposées aux médias. Dans l'État d'Uttar Pradesh (Inde), des services de police spéciaux constitués entièrement de femmes ont été créés dans certaines circonscriptions sensibles pour porter secours aux victimes et leur prêter assistance devant les tribunaux.

Il difficile d'obtenir des statistiques fiables sur les poursuites engagées contre les délinquants sexuels. A en juger par le nombre de cas rapportés par la presse, le nombre de procès augmente. La presse fait souvent état d'arrestations et de condamnations dans des cas de pornographie et de prostitution enfantines; en revanche, on entend peu parler d'actions efficaces contre la vente et la traite d'enfants.

Notes

1Le rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme chargé d'examiner les questions se rapportant à la vente d'enfants, à la prostitution des enfants et à la pornographie des enfants (Nations Unies) définit la prostitution des enfants comme «le fait d'offrir les services d'un enfant pour accomplir des actes sexuels contre rémunération ou pour toute autre considération, avec la personne considérée ou toute autre personne».

2Toute personne qui, ayant la garde, la charge ou la responsabilité d'une jeune fille de moins de 16 ans, la contraint ou l'encourage à la débauche ou à la prostitution ou qui autorise une personne de moins de 16 ans à séjourner temporairement ou en permanence dans une maison de prostitution se rend coupable d'un délit.

3Le 24 mai 1996, deux citoyens britanniques ont été condamnés à des peines d'emprisonnement après avoir plaidé coupable de délits de pornographie impliquant des enfants sur Internet Le tribunal a estimé que, aux yeux de la loi, les images sur Internet doivent être considérées de la même manière que des photographies (Society for the Protection of the Rights of the Child, n° 7, juin 1996). Aux Etats-Unis, la loi dispose que la reproduction, la distribution ou la réception par ordinateur d'images interdites relèvent de la pornographie.

5. L'application des législations

Les mesures d'application

La convention n° 138 (article 9) et la recommandation n° 146 qui l'accompagne (partie V) tracent le cadre international dans lequel viennent s'inscrire les législations nationales sur le travail des enfants. La convention n° 138 prescrit aux gouvernements de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris des sanctions appropriées, en vue d'assurer l'application effective de ses dispositions. Elle prévoit aussi que les employeurs devront tenir des registres ou autres documents indiquant le nom et l'âge des personnes qu'ils occupent et qui ont moins de 18 ans. La recommandation n° 146 énonce des directives plus détaillées sur des questions telles que la formation des inspecteurs du travail ou la façon de déceler les abus en matière de travail des enfants et d'y porter remède, en prêtant une attention particulière aux travaux dangereux, et indique les mesures à prendre pour faciliter la vérification de l'âge des intéressés.

La plupart des législations nationales contiennent des dispositions visant à faciliter l'application des prescriptions relatives à l'âge minimum et au travail des enfants en général et prévoient les mesures nécessaires à cet effet. Presque tous les pays possèdent des services d'inspection du travail et, de fait, 118 Etats ont ratifié la convention (n° 181) sur l'inspection du travail, 1947. Pourtant, nombreux sont ceux qui, en pratique, ont beaucoup de mal à assurer l'application de la législation sur le travail des enfants.

Dans la majorité des pays, la loi tient l'employeur responsable du non-respect des dispositions sur le travail des enfants. Toutefois, certaines législations nationales font expressément partager cette responsabilité aux parents, tuteurs ou personnes ayant légalement la garde de l'enfant. Ainsi, la législation de la République-Unie de Tanzanie et du Kenya dispose que tout parent ou gardien d'un enfant ou d'un adolescent qui permet à celui-ci d'exercer un emploi en contravention avec l'une quelconque des dispositions de la loi commet une infraction. Selon la loi norvégienne, tout parent ou gardien qui autorise un enfant ou un adolescent à travailler illégalement est passible d'une amende. On trouve des dispositions similaires en Belgique et en Uruguay. Il est plus fréquent que les parents et les gardiens légaux soient tenus responsables des infractions à la réglementation relative à la scolarité obligatoire, comme c'est le cas en Equateur. Plus récemment, les Philippines ont adopté une loi qui fait obligation aux parents ou aux gardiens légaux de veiller à ce que les enfants suivent l'enseignement primaire et secondaire obligatoire.

Les Etats abordent différemment la question de la tenue des dossiers. Un assez grand nombre de pays imposent aux employeurs de tenir un registre ou un document équivalent relatif à l'ensemble des travailleurs de tous âges qu'ils emploient, registre où figure normalement la date de naissance. Cependant, nombre de législations prescrivent aux employeurs de tenir une liste ou un registre spécial des jeunes travailleurs qu'ils emploient (Allemagne, Autriche, Belgique, République de Corée, Costa Rica, El Salvador, Equateur, Hong-kong, Japon, Lesotho, Norvège, Pakistan, Pérou, Philippines, Pologne, Portugal, Uruguay, Venezuela, Viet Nam, Yémen, Zaïre). Certaines activités ou professions échappent parfois à cette exigence, habituellement le secteur agricole. Parfois aussi, l'obligation se limite aux entreprises employant un nombre de travailleurs supérieur à un chiffre donné (Maurice) ou ne concerne que les salariés employés pour une certaine durée (plus de deux mois en Finlande).

En général, l'employeur doit conserver le registre ou le document équivalent dans les locaux de l'entreprise et le tenir à la disposition de l'inspection du travail. Son contenu peut varier, mais il mentionne habituellement le nom, le domicile, la date de naissance (ou l'âge, ou encore «l'âge apparent», comme c'est le cas en République-Unie de Tanzanie), la date d'embauchage et de cessation du travail, les conditions et la nature de l'emploi. Dans certains pays, la loi prévoit une autre méthode que celle du registre. Ainsi, en Egypte, l'employeur doit notifier à l'autorité compétente le nom des jeunes travailleurs qu'il a engagés et afficher à l'entrée de l'établissement une liste indiquant la tâche à laquelle ils sont affectés. En Chine, l'employeur doit obtenir du département du travail compétent un certificat d'enregistrement de chaque jeune qu'il emploie. Enfin, dans certains pays (Pakistan, Philippines, Portugal), la loi oblige l'employeur non seulement à tenir un registre, mais aussi à notifier à l'inspecteur la présence de tout jeune travailleur dans l'établissement. On peut donc affirmer que la plupart des

Etats se conforment aux dispositions de la convention n° 138, qui impose la tenue de registres ou autres documents relatifs aux travailleurs de moins de 18 ans pour assurer l'application de la législation sur le travail des enfants.

Quoique la pratique du permis de travail ne soit pas généralisée, bon nombre de pays y ont recours pour diverses activités. Dans certains d'entre eux, comme l'Equateur, le Honduras, Malte, le Maroc et le Venezuela, ces permis doivent être délivrés par l'autorité compétente avant l'embauchage. En Equateur et au Venezuela, les jeunes qui travaillent à leur compte doivent aussi obtenir une autorisation écrite des autorités. Au Maroc, l'autorité de contrôle locale ou municipale délivre un «livret de travail» indiquant le nom, la date de naissance et le domicile du jeune travailleur. Sans ce document, les établissements commerciaux et industriels ne peuvent employer de travailleurs de moins de 16 ans. A Malte, les travailleurs doivent se faire délivrer une carte de travail par l'autorité compétente, mais la délivrance de cette carte est subordonnée à l'autorisation écrite du ministère de l'Education pour les mineurs d'âge scolaire. De même, pour pouvoir engager des jeunes de 13 ans, les employeurs thaïlandais doivent demander, selon les formes prescrites, à l'inspection du travail de leur délivrer un permis écrit. Dans la plupart des pays, la loi impose l'obtention d'un permis ou d'une autorisation de travail pour certaines activités, en particulier celles qui touchent aux spectacles, au cinéma et à la télévision, où l'âge d'admission au travail est habituellement inférieur à celui des autres activités (Allemagne, Belgique, Tunisie).

Dans la quasi-totalité des pays, la loi subordonne l'emploi des enfants et des adolescents à un examen médical destiné à vérifier leur aptitude au travail (Bulgarie, Cuba, République dominicaine, Etats-Unis, Finlande, République islamique d'Iran, Italie, Koweit, Mexique, Népal, Paraguay, Pérou, Portugal). Cette exigence s'applique parfois à tous les travailleurs de moins de 18 ans, quelle que soit l'activité exercée. En Turquie, par exemple, le Code du travail dispose que, avant d'être admis à quelque emploi que ce soit, les adolescents de 13 à 18 ans doivent subir un examen médical et que, jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de 18 ans, ils doivent passer des visites médicales périodiques à des intervalles maximaux de six mois. Les mêmes prescriptions s'appliquent en Allemagne, sauf pour les emplois de moins de deux mois ou les travaux légers qui ne risquent pas de compromettre la santé des jeunes. Le certificat médical doit être conservé par l'employeur et communiqué sur demande à toute autorité du travail compétente (Allemagne, Pologne, Turquie). Dans plusieurs pays, cette exigence se limite aux activités dangereuses (Liban, Norvège), ou à certaines activités fixées par la loi (Egypte, Tunisie).

Quelques pays (Bulgarie, République centrafricaine, Paraguay, Singapour) exigent un certificat médical pour les enfants effectuant des travaux légers. Dans d'autres pays, c'est l'administration du travail (c'est-à-dire, en général, l'inspection du travail) qui est habilitée à demander un certificat médical quand elle le juge nécessaire et qui peut mettre fin à l'emploi ou enjoindre à l'enfant de cesser le travail si cet examen montre que l'activité exercée est nuisible à sa santé et à son développement (Maroc, Tunisie). Au Portugal, la loi prévoit des examens médicaux gratuits pour les vendeurs ambulants. Il ressort de tout cela que l'inclusion dans la législation sur le travail des enfants de dispositions relatives aux examens médicaux est une tendance générale fondée sur le désir de sauvegarder le développement physique, mental et moral des mineurs.

Dans certains pays, l'emploi des enfants est subordonné à l'autorisation écrite des parents ou des gardiens légaux. Il en est ainsi au Viet Nam pour les enfants de moins de 15 ans et au Honduras pour ceux de moins de 16 ans. En Egypte, le Code du travail dispose que les entreprises employant des jeunes de moins de 16 ans doivent leur délivrer une carte attestant qu'ils travaillent pour leur compte.

Dans certains pays, le gouvernement a pris des mesures pour déterminer l'âge des enfants lorsque le certificat de naissance et les autres documents officiels font défaut. A Sri Lanka, il est possible depuis 1981 de fournir aux enfants de plus de 16 ans une carte d'identité nationale qui peut remplacer le certificat de naissance pour prouver leur âge. En Inde, les gouvernements des Etats devront se procurer des certificats attestant de l'âge et tenir des registres relatifs au travail des enfants.

Les entreprises qui emploient des jeunes sont souvent tenues par la loi d'afficher un avis dans leurs locaux, habituellement à l'entrée principale. Cet avis peut comporter les indications suivantes: extraits ou texte intégral des lois régissant l'emploi des enfants et des jeunes travailleurs (Allemagne, Inde, Maroc); informations relatives aux conditions de travail des jeunes travailleurs (Allemagne, Egypte); liste de leurs noms (Egypte); adresse du service d'inspection chargé de contrôler l'établissement.

Dans la quasi-totalité des pays, les infractions à la législation sur l'emploi ou le travail des enfants sont punies par la loi. Si les peines varient considérablement par leur nature et leur sévérité, elles consistent généralement en amendes, assorties parfois d'une peine de prison (d'ordinaire en cas de récidive seulement). Les employeurs risquent aussi la perte de leur licence d'exploitation ou même la fermeture de leur établissement. Enfin, de nombreux pays infligent une amende ou une peine de prison à quiconque entrave la mission des inspecteurs du travail (Cameroun, Viet Nam).

Dans les pays qui prévoient uniquement des sanctions pécuniaires, la loi fixe généralement un minimum et un maximum. Dans certains pays, elle prévoit une seule et même amende pour différentes infractions. Par exemple, le Code du travail tunisien dispose que le non-respect de certaines de ses dispositions (ou des décrets et ordonnances d'application), comme l'interdiction d'affecter les enfants aux tâches dangereuses ou au travail de nuit et l'obligation de tenir un registre et de faire passer des examens médicaux, est passible d'une amende de 500 à 2 800 dinars. La loi turque sur le travail module les peines selon la gravité de l'infraction. Ainsi, l'emploi de jeunes travailleurs à des tâches interdites ou dangereuses est beaucoup plus sévèrement puni que le non-respect des obligations relatives aux certificats médicaux. Il en va de même au Cameroun. Dans d'autres pays (Chine, Norvège, Zaïre), l'amende s'applique à toutes les infractions ou est laissée à la discrétion de l'autorité judiciaire ou administrative. En cas de récidive, elle est généralement doublée.

Une peine de prison s'ajoute souvent à l'amende. En République de Corée, en Inde et au Japon, elle ne s'applique qu'à certaines infractions, comme l'emploi des enfants à des tâches nocives ou dangereuses. En vertu de la loi coréenne sur les normes de travail, par exemple, l'emploi des enfants à toutes tâches préjudiciables à leur moralité ou à leur santé ainsi qu'à tous travaux souterrains est passible d'une peine de prison d'un maximum de trois ans ou d'une amende d'un maximum de 20 millions de won.

Les peines s'additionnent souvent jusqu'à un maximum selon le nombre d'enfants faisant l'objet de l'infraction. Par exemple, la loi sur les normes de travail équitables des Etats-Unis prévoit une amende d'un maximum de 10 000 dollars pour chaque salarié ayant fait l'objet d'une infraction aux dispositions relatives au travail des enfants.

Il existe différents autres recours et sanctions que les amendes et peines de prison. A Malte, la loi ne se contente pas d'imposer une amende aux employeurs qui font travailler les mineurs d'âge scolaire sans la carte de travail exigée; elle prévoit aussi que, sur demande du ministère public, le tribunal doit ordonner la suspension ou l'annulation de toute licence détenue par le contrevenant qui se rapporte à ses activités commerciales ou aux locaux de son entreprise où les personnes en question sont employées. De même, aux Philippines, les infractions répétées à la législation relative au travail des enfants exposent le contrevenant non seulement à une amende et à une peine de prison, mais aussi à la perte de sa licence. En Autriche, les autorités administratives peuvent décider sur recommandation de l'inspecteur d'interdire aux employeurs récidivistes de faire travailler des jeunes, temporairement ou définitivement. En Côte d'Ivoire, l'autorisation d'emploi peut être supprimée pour tout l'établissement s'il est prouvé que des enfants de moins de 14 ans y ont été employés à des tâches qui ne leur convenaient pas.

Aux Etats-Unis, il est interdit d'exporter d'un Etat à l'autre ou à l'étranger des biens qui ont été produits par des jeunes de moins de 16 ans, ou de moins de 18 ans s'il s'agit d'activités particulièrement dangereuses ou nuisibles à la santé ou au bien-être.

Dans quelques pays, la loi prévoit expressément que certaines personnes autres que l'inspecteur du travail ou l'autorité compétente peuvent porter plainte (Népal, Pakistan, Philippines). Aux Philippines, il s'agit des personnes suivantes: l'intéressé; ses parents ou gardiens; ses ascendants ou colatéraux; les responsables, travailleurs sociaux ou représentants d'une institution agréée de protection de l'enfance; les responsables ou travailleurs sociaux du ministère de l' Aide sociale et du Développement; un groupe de trois citoyens de la région compétents et responsables. Normalement, la plainte doit être déposée auprès de l'autorité judiciaire compétente (tribunal de district, magistrat ou tribunal des mineurs).

L'inspection du travail

Responsable au premier chef de l'application des dispositions relatives au travail des enfants, l'Etat exerce normalement cette responsabilité par l'intermédiaire de l'inspection du travail. Aux termes de la convention (n° 81) sur l'inspection du travail, 1947, de l'OIT, l'une des tâches essentielles des inspecteurs du travail est d'assurer l'application des dispositions légales relatives à l'emploi des enfants et des adolescents. En général, la législation du travail donne aux inspecteurs de larges responsabilités et une certaine latitude pour décider si les conditions d'emploi des enfants ont été respectées et autoriser ceux-ci à travailler ou exiger le respect préalable de certaines conditions. Dans nombre de pays, les inspecteurs du travail et l'autorité administrative du travail sont habilités à: i) autoriser les jeunes à travailler (Honduras); ii) autoriser les mineurs à effectuer certaines tâches légères ou à participer à des spectacles artistiques; iii) exiger un examen médical quand ils le jugent nécessaire pour savoir si la tâche effectuée par un jeune travailleur, surtout si elle est dangereuse, risque de nuire à sa santé ou à son développement (Maroc); iv) annuler le contrat de travail ou retirer le permis de travail si la tâche effectuée risque de nuire à la santé ou au développement physique et moral de l'enfant (Croatie); v) assurer le respect de la législation en vigueur lors des inspections en vérifiant les conditions de travail des enfants et en examinant les registres des heures de travail, des congés, des salaires et des dossiers médicaux.

Les employeurs sont souvent tenus de notifier à l'inspection l'embauchage d'enfants ou d'adolescents ou de lui fournir la liste des intéressés. De leur côté, les inspecteurs peuvent avoir à tenir des registres spéciaux mentionnant l'identité des jeunes travailleurs, la date de délivrance de leur permis de travail et d'autres précisions les concernant (Colombie).

Dans certains pays, conformément à la convention n° 81, les inspecteurs du travail sont chargés de fournir des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux travailleurs sur les moyens les plus efficaces d'observer les dispositions légales. Ainsi, les nouveaux Codes du travail de Madagascar, du Népal, de la Tunisie et du Yémen disposent expressément qu'il incombe aux inspecteurs de veiller à l'application des dispositions légales relatives à l'emploi des enfants et des jeunes travailleurs et de dispenser à cette fin informations et conseils aux employeurs. En République-Unie de Tanzanie, la formation a permis aux inspecteurs de mieux déceler les dangers qui menacent les enfants au travail, et de pouvoir ainsi donner des conseils aux employeurs avant d'intenter des poursuites. Au Royaume-Uni, les contrôles assortis de conseils sont l'un des moyens utilisés par l'inspection du travail pour lutter contre les accidents dont sont victimes les enfants dans l'agriculture.

Dans certains pays, le système éducatif joue un rôle important dans l'application de la législation sur le travail des enfants. Au Royaume-Uni, par exemple, la Direction nationale de la santé et de la sécurité est chargée à la fois de la santé, de la sécurité et de l'emploi des enfants. Toutefois, dans les secteurs non industriels, les responsabilités sont partagées: les services locaux de la santé publique traitent de la santé et de la sécurité, tandis qu'il appartient aux services de l'éducation de faire appliquer la législation relative à l'emploi des enfants. Ces derniers sont habilités à aller au-delà des prescriptions nationales concernant l'âge minimum, les heures de travail et les activités interdites.

Les difficultés d'application et les progrès réalisés

On s'accorde en général à reconnaître que l'un des principaux obstacles au respect de l'interdiction légale du travail des enfants tient aux insuffisances des mécanismes d'application, qui soulèvent des difficultés même dans les pays à législation avancée, en particulier dans le secteur non structuré, les zones éloignées des grandes villes, l'agriculture, les petites entreprises (boutiques, hôtels...), le commerce des rues, les services domestiques et le travail à domicile. Comme c'est dans l'agriculture, les services domestiques et le secteur non structuré que l'on trouve le plus d'enfants au travail, la majorité d'entre eux échappent ainsi pratiquement à la loi. Les moyens d'action légaux exposés ci-dessus n'ont donc qu'une portée limitée, et cela dans la quasi-totalité des pays, quel que soit leur niveau de développement.

L'application est parfois grandement compliquée par les insuffisances ou la complexité de la législation. A Sri Lanka, par exemple, la loi impose de si nombreuses restrictions à l'emploi des enfants qu'une interdiction absolue, de l'avis de certains, serait beaucoup plus aisée à mettre en œuvre.

Par ailleurs, la législation du travail relative aux enfants est parfois dispersée entre de nombreux textes et règlements d'application qui sont si détaillés qu'il en devient fort difficile de contrôler les infractions. En outre, les inspecteurs du travail peuvent avoir du mal à déterminer leurs propres compétences en raison des contradictions de cette législation1.

Les lacunes de la loi nuisent également à son application. Par exemple, les services domestiques, l'agriculture, l'emploi indépendant et le secteur non structuré sont souvent exclus du champ d'application de la législation relative au travail des enfants. Même dans les secteurs réglementés, certaines branches échappent aux interdictions et réglementations, par exemple les petits ateliers (Népal). Les dispositions relatives à l'apprentissage peuvent également soulever des difficultés si elles manquent de clarté et ne protègent pas suffisamment les enfants: les contrats d'apprentissage servent souvent à masquer l'exploitation et les formes illégales de travail des enfants. En outre ceux-ci sont parfois placés en « formation » non rémunérée, problème que certains pays ont résolu en considérant que tout enfant qui travaille dans un établissement industriel est réputé y être employé, qu'il soit payé ou non. Il est ainsi plus facile de prouver en justice qu'il existe une relation d'emploi.

Les «jermals» d'Indonésie

Les «jermals» sont d'immenses filets de pêche posés au fond de l'eau et fixés à des socles en bois. On recrute de préférence les pêcheurs parmi les enfants, car ils sont plus dociles, touchent de moindres salaires et travaillent plus longtemps.

La plupart d'entre eux souffrent de troubles psychiques provoqués par l'isolement, l'éloignement familial, les mauvais traitements et les insultes, et parfois même les sévices sexuels commis par les contremaîtres ou les pêcheurs plus âgés. Comme l'emploi des enfants à ce type de pêche est illégal, les exploitants font généralement appel à des agents clandestins, qui prospectent les familles pauvres ayant des enfants de moins de 15 ou 16 ans, surtout dans les plantations et les domaines agricoles. L'exploitant verse à ces agents de 8 000 à 15 000 roupies par recrue.

Certains parents savent que leurs enfants sont recrutés pour la pêche au «jermal» et sont conscients du fait que cela peut impliquer de graves risques pour leur santé, leur sécurité et leur moralité. Mais ils sous-estiment généralement le danger et laissent leurs enfants faire ce travail à cause de leurs difficultés économiques et des bonnes paroles des agents. Parfois même, ils ne savent pas que leurs enfants sont destinés à ce travail. La pêche au «jermal» est une activité si dangereuse que, d'ordinaire, après une première expérience, les parents ne laissent pas leurs enfants y retourner.

Source: Pardoen, S.: Children in hazardous work in the informai sector in Indonesia (Djakarta, ILO/IPEC, 1996), pp. 38-39.

L'insuffisance des sanctions est un autre point faible de la législation, encore que difficile à évaluer à la simple lecture des textes. Elles sont souvent mal définies ou sont trop légères pour jouer un rôle dissuasif.

Un nombre croissant de pays en développement incluent les dispositions relatives au travail des enfants dans leur nouveau Code du travail ou dans des ordonnances ou règlements spéciaux: Cambodge, Cameroun, République de Corée, Côte d'Ivoire, Gabon, Inde, Laos, Lesotho, Madagascar, Malaisie, Maurice, Myanmar, Népal, Pakistan, Panama, Philippines, Sao Tomé-et-Principe. Pour couvrir les secteurs exclus jusque-là, l'Irlande a adopté récemment des normes légales en matière de sécurité agricole. Récemment aussi, le Royaume-Uni s'est doté d'un recueil de directives pratiques visant à prévenir les accidents agricoles chez les enfants, qui fixe les obligations légales de toutes les parties intéressées et comprend des mesures tendant à garantir la sécurité des zones où les enfants sont autorisés à travailler et à les faire bénéficier de l'instruction et de la supervision voulues.

Des efforts ont été également faits aux Etats-Unis, au Népal, au Pakistan et en Turquie pour renforcer les sanctions relatives au travail des enfants. Aux Etats-Unis, les Etats ont tendance à renforcer l'application de la législation et les peines prévues et à imposer des restrictions aux activités dangereuses. L'Etat de Californie a récemment alourdi les sanctions civiles, imposant une amende maximale de 10 000 dollars en cas d'infraction grave ou délibérée. En 1995, l'Etat de Missouri a autorisé l'imposition de sanctions civiles s'ajoutant aux sanctions pénales, qui vont de 50 à 1000 dollars selon la nature et la gravité de l'infraction. Pour chaque enfant employé illégalement, l'employeur se rend coupable chaque jour d'une infraction distincte. Le produit des amendes est versé à un Fonds d'application de la législation sur le travail des enfants, nouvellement créé. Par ailleurs, le ministère du Travail des Etats-Unis a institué un système de pénalités en vertu duquel les employeurs sont passibles d'une amende d'un maximum de 10 000 dollars pour chaque infraction entraînant la mort d'un mineur ou lui causant de graves blessures. Par exemple, si un enfant de 15 ans est gravement blessé alors qu'il conduit un chariot élévateur dans un entrepôt, le responsable est passible d'une amende de 10 000 dollars pour infraction à l'interdiction de laisser des mineurs de moins de 18 ans conduire ce type d'engin et d'une amende supplémentaire pouvant atteindre aussi 10 000 dollars pour infraction à l'interdiction de faire travailler des enfants de 14 et 15 ans dans un entrepôt. En 1994, quatre entreprises ont dû verser 242 900 dollars d'amende, pour des infractions qui leur auraient coûté 75 000 dollars dans l'ancien système.

L'Indonésie et Sri Lanka ont fait savoir qu'ils étaient en train de modifier leur législation pour imposer des peines sévères en cas d'infraction à la législation sur le travail des enfants.

L'un dés graves problèmes qui se posent trop souvent est celui de l'ignorance de la législation relative au travail des enfants, de la part non seulement des employeurs et des parents, mais aussi des inspecteurs du travail. En Pologne, par exemple, lors de visites d'inspection dans de petits établissements privés, les inspecteurs ont noté nombre d'infractions aux dispositions soumettant l'embauchage des jeunes à un examen médical. Interrogés, les employeurs ont admis qu'ils ignoraient l'existence de cette obligation légale. Une telle ignorance de la loi est courante dans de nombreux pays du monde. Les parents ignorent souvent, eux aussi, les dangers auxquels leurs enfants sont exposés au travail et ne sont pas toujours conscients du caractère illégal de ce travail, d'où l'absence fréquente de plaintes, donc d'enquêtes.

Parfois, surtout dans les petites entreprises, les employeurs ignorent la loi ou sont peu disposés à l'observer strictement. Les parents, souvent illettrés, tiennent davantage au produit du travail de leurs enfants qu'à leur scolarisation. Les inspecteurs, quant à eux, hésitent souvent à appliquer la loi et à imposer des sanctions car ils savent que les familles comptent sur les gains des enfants et que le travail de ceux-ci contribue largement à l'économie du pays. Enfin, on estime couramment que le travail des enfants présente divers avantages: il les aide à acquérir une qualification professionnelle, leur évite de traîner dans les rues et leur permet de gagner leur argent de poche.

Différents pays ont entrepris des actions pour sensibiliser l'opinion à la question du travail des enfants. Au Danemark, une campagne de deux jours a été menée par l'inspection du travail pour faire mieux connaître les graves problèmes de santé et de sécurité qui menacent les jeunes effectuant des tâches dangereuses ainsi que la législation relative au travail des enfants. En Autriche, l'inspection du travail organise tous les deux ans des conférences sur le respect des lois relatives à la protection des enfants, des jeunes et des apprentis, conférences qui sont l'occasion de débats entre les représentants des employeurs et des travailleurs ainsi que des autres parties intéressées à la question. D'autres actions de sensibilisation ont été menées au Brésil, en Indonésie, au Népal, au Pakistan, aux Philippines, en République-Unie de Tanzanie et au Venezuela. Au Royaume-Uni, la fourniture de renseignements et de conseils — sous forme de dépliants, de films vidéo pour les enfants et de matériel spécialement conçu pour les enseignants — aux agriculteurs, aux travailleurs agricoles, aux parents, aux enseignants, au personnel scolaire et aux enfants eux-mêmes est un élément essentiel de la lutte contre les accidents agricoles chez les enfants. Par ailleurs, les inspecteurs profitent des foires agricoles pour sensibiliser le pays au problème. Il apparaît que le résultat combiné de ces efforts et de la mise en œuvre du recueil de directives pratiques précité a permis de faire tomber le nombre des accidents mortels de 25 par an environ au milieu des années quatre-vingt à moins de 10 en 1994.

Une initiative menée à Istanbul (Turquie) illustre bien la manière dont la sensibilisation des parents aux dangers du travail des enfants peut modifier sensiblement leur attitude. Un groupe de mères dont les enfants travaillaient à des tâches dangereuses ont été invitées à visiter l'établissement incriminé et à constater les risques graves auxquels ces enfants étaient exposés. A la suite de cette visite, la plupart d'entre elles ont décidé de les en retirer.

Difficultés rencontrées par les services d'inspection du travail

  • insuffisance des moyens matériels, notamment en matière de transport;
  • insuffisance des effectifs;
  • charge de; travail excessive et faible rémunération des inspecteurs;
  • manière de voir des inspecteurs vis-à-vis du travail des enfants;
    • formation insuffisante en ce qui concerne ta vulnérabilité particulière des enfants, le travail des enfants et les risques auxquels ils sont exposés;
    • pouvoirs limités par la loi et insuffisance des moyens techniques;
  • absences de motivation;
  • hostilité du milieu;
    • manque de coopération et de soutien de: la part des autres organismes gouvernementaux, et notamment des institutions éducatives;
    • caractère clandestin du travail des enfants.

Dans la plupart des pays, et surtout dans ceux où le travail des enfants pose le plus de problèmes, l'application de la législation pâtit des insuffisances de l'inspection du travail. Les infractions à la législation sur le travail des enfants sont habituellement constatées au cours d'inspections de routine ou à la suite de plaintes. Quoique l'inspection ait été spécifiquement créée à l'origine pour lutter contre le travail des enfants, elle a acquis tant d'autres fonctions au cours du temps que sa fonction initiale ne représente plus aujourd'hui qu'une petite partie de ses tâches. Nombre d'autres facteurs empêchent les services d'inspection d'exercer pleinement leur mission.

Dans la plupart des pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie du Sud-Est, les inspecteurs se plaignent des mauvaises conditions de travail, et notamment de ce que le manque de personnel entraîne une surcharge de travail. Un exemple caractéristique est celui de l'Indonésie, où 800 inspecteurs doivent contrôler l'ensemble des entreprises enregistrées dans le pays, soit plus de 4 000 par an pour chacun d'eux. La situation est similaire à Sri Lanka. On objecte souvent que les infractions à la législation sur le travail des enfants ne peuvent constituer une priorité pour les inspecteurs, dont le temps est également ou essentiellement consacré au respect de la législation générale du travail, aux questions administratives, au règlement des conflits du travail et aux questions analogues. Dans certains pays d'Europe, les inspecteurs du travail doivent en outre contrôler l'emploi illégal des étrangers et des travailleurs migrants. Les inspecteurs autrichiens se sont plaints de ce que ces tâches supplémentaires risquaient de nuire à la bonne exécution de leurs tâches principales. Par ailleurs, les inspections du travail de nombreux pays ne disposent pas de spécialistes du travail des enfants. Ainsi, au Costa Rica, en El Salvador, au Guatemala et au Panama, le nombre total d'inspecteurs est insuffisant et aucun d'eux n'a de compétences particulières dans ce domaine.

L'inspection du travail et les groupes vulnérables

Dans un pays d'Afrique, une visite a été effectuée avec l'inspecteur local dans une grosse mine d'or employant 350 personnes. Il n'y avait pas d'enfants dans les galeries creusées à 300 mètres sous terre, où le travail d'excavation est mécanisé. Toutefois, aucun inspecteur n'a jamais visité la mine à ciel ouvert, proche de là, où travaillent et vivent 100 000 personnes. On y trouve des excavations de 80 mètres de profondeur qui permettent d'accéder aux galeries sans le moindre équipement de sécurité. Les enfants descendent le long de cordes dans des puits étroits et remontent le minerai dans des sacs. Nourris par le propriétaire, ils ne sont payés que si le minerai rapporté contient bien de l'or.

Dans une autre mine, les puits sont situés côte à côte et les enfants doivent descendre une trentaine de mètres dans les galeries, où ils se trouvent à 40 ou 50 mètres de l'air libre.

Les inspecteurs ont fait valoir qu'ils ne pouvaient mettre fin à cette situation parce qu'il n'existait pas de contrat de travail au sein de ces groupes familiaux. Renseignements pris, il est apparu que femmes et enfants louaient leurs services au propriétaire et étaient payés au forfait. C'étaient donc en fait des salariés, mais, comme on se trouvait dans le secteur non structuré, les inspecteurs du travail n'avaient jamais cherché à intervenir. Après cette visite, toutefois, ils décidèrent de consacrer une semaine entière à l'examen du fonctionnement de la mine afin de mieux comprendre la situation.

Source: Colloque technique international sur les stratégies d'inspection du travail en faveur des groupes vulnérables (Tunis, 19-20 mai 1994).

Une autre difficulté tient à l'insuffisance des moyens de transport permettant d'atteindre et d'inspecter les établissements situés en dehors des villes, ce qui entraîne une quasi-impossibilité de contrôler le secteur agricole, où travaillent la plupart des enfants et où les risques courus sont particulièrement grands et le travail en servitude chose fréquente. Au Malawi, faute de ressources, les bureaux régionaux et les inspecteurs sur le terrain ne disposent de moyens de transport qu'à tour de rôle. On incite les inspecteurs à acheter leur propre véhicule, I' administration remboursant les frais de déplacement et frais annexes.

Les inspecteurs peuvent aussi se heurter à des limites inhérentes à la législation elle-même. Par exemple, de nombreuses lois ne s'appliquent pas au secteur non structuré, dans lequel les jeunes sont employés pour la plupart selon un contrat verbal ou en sous-traitance. Par ailleurs, les méthodes d'inspection utilisées dans le secteur moderne et le secteur industriel ne sont guère adaptées au secteur non structuré et à l'agriculture. Certains employeurs recourent à divers subterfuges pour camoufler le travail illégal des enfants ou échappent à l'inspection parce que leur entreprise n'est pas enregistrée officiellement. Or c'est justement dans ce type d'établissement que les conditions de travail sont souvent le plus dangereuses et que les enfants sont le plus exploités. Il arrive en outre que les inspecteurs ne soient pas habilités à contrôler certains lieux de travail comme les domiciles privés ou à intervenir en dehors de certaines périodes déterminées ou sans préavis donné à l'employeur. Pour opérer, ils doivent parfois obtenir un mandat de perquisition de la police.

Par ailleurs, l'insuffisance de leurs rémunérations et de l'appréciation de leur travail par les autorités hiérarchiques nuit à la motivation des inspecteurs, qui sont souvent soumis à des pressions plus ou moins directes des autorités administratives, judiciaires ou politiques visant à les faire renoncer à procéder à des inspections axées sur le travail des enfants ou à engager des poursuites. Dans certains pays, la corruption contribue aussi à entraver la bonne application de la loi.

Si la situation ne s'améliore que lentement sur le fond, on constate en revanche une prise de conscience croissante des difficultés que présente pour les inspecteurs la détection du travail illégal des enfants et quelques mesures positives commencent à être prises pour faire mieux appliquer la loi.

Dans certains pays, un ou plusieurs inspecteurs ont été chargés de suivre, principalement ou exclusivement, la question du travail des enfants. En Autriche, chaque bureau d'inspection doit affecter à la protection des enfants et des adolescents au moins un de ses membres, qui a pour tâche principale de veiller au respect des dispositions applicables en la matière. En Bolivie, en République dominicaine, au Japon et à Sri Lanka, des mesures ont été prises récemment pour étoffer l'effectif des bureaux d'inspection et accroître le nombre des inspecteurs.

Au Brésil, une disposition légale qui permettait aux entreprises employant moins de dix travailleurs d'échapper à l'inspection a été abrogée et le gouvernement s'efforce de moderniser les services d'inspection en accroissant le nombre des inspecteurs et en améliorant les conditions de travail, les salaires et les moyens matériels, notamment par la création d'unités mobiles capables d'atteindre les zones éloignées. Par ailleurs, 150 inspecteurs du travail placés sous l'autorité d'une commission instituée dans chaque Etat conduisent des inspections dans les zones où le travail des enfants sévit le plus gravement. Enfin, on a créé un groupe d'intervention pour la répression du travail forcé, chargé d'enquêtes en priorité sur le travail forcé et le travail des enfants et des adolescents.

On signale dans plusieurs pays un accroissement du nombre des inspections menées pour constater les infractions à la législation sur le travail des enfants. Au Pakistan, par exemple, 6083 inspections ont été menées de janvier 1995 à mars 1996, qui ont permis de constater 2531 infractions à cette législation et ont entraîné 774 condamnations à une amende. En Espagne, le nombre des inspections relatives au travail des enfants a progressé de 1990 à 1992, tandis que le nombre des infractions à l'encontre de mineurs diminuait. Des initiatives ont été prises au Kenya avec l'aide de l'IPEC. Cent quatre-vingts inspecteurs ont reçu une formation spécialisée relative au travail des enfants, ce qui a permis de porter le nombre des inspections à 2982, de constater 8074 cas d'enfant de moins de 15 ans travaillant illégalement dans une entreprise et d'aboutir à cinq inculpations et deux condamnations. Par ailleurs, les inspecteurs ont reçu quelque 800 plaintes. Enfin, on constate une mobilisation de la collectivité et un développement de la collaboration et des liens entre l'inspection et les autres organismes chargés de la protection des enfants. Jusque-là, il n'y avait pas en pratique d'inspections portant sur le travail des enfants.

Au Pakistan, le ministère du Travail ne s'est pas contenté d'accroître le nombre des inspections, comme on l'a vu plus haut; il a mis au point un programme de formation systématique à l'intention des inspecteurs du travail, fondé sur une méthode mise au point par l'OIT. Aux Philippines, une série d'opérations de contrôle menées depuis 1993 en vue d'arracher les enfants à l'exploitation a été couronnée de succès et a permis de poursuivre en justice plusieurs contrevenants. Le gouvernement s'efforce d'accroître le nombre des inspecteurs et organise des cours de formation spéciaux dans le cadre de la campagne renforcée qu'il mène contre le travail des enfants. Par ailleurs, le ministère du Travail et de l'Emploi a pris en 1993 un arrêté enjoignant à l'inspection d'accorder une priorité particulière aux établissements employant des enfants.

En République-Unie de Tanzanie, les inspections se font plus régulières, surtout pour ce qui concerne l'emploi des enfants à des tâches dangereuses, et il semblerait que certains employeurs aient renoncé faire appel aux enfants et que d'autres aient décidé d'affecter les enfants qu'ils emploient à des tâches sans danger. Le gouvernement sri-lankais a lancé en 1992 une vaste campagne contre le travail des enfants, à la suite de quoi le Département de la protection de l'enfance a reçu 1290 plaintes. Cinquante personnes ont fait l'objet d'une enquête et d'autres sont en cours.

Depuis plusieurs années, le gouvernement turc s'efforce avec l'aide de l'IPEC d'améliorer la protection des enfants par l'inspection du travail. Différents stages de formation ont été organisés pour sensibiliser les inspecteurs à la question: 60 d'entre eux ont bénéficié de cette formation et, sur un total de 750, six ou sept sont ainsi devenus spécialistes du travail des enfants. Au Népal, le ministère du Travail a récemment créé une unité spéciale chargée de faire appliquer les dispositions qui imposent un âge minimum dans l'industrie du tapis et prévoient l'obligation d'apposer sur les produits une étiquette indiquant qu'ils ont été fabriqués sans utiliser de main-d'œuvre enfantine.

Des campagnes spéciales ont aussi été menées aux Etats-Unis pour faire mieux appliquer la loi. Quatre opérations «Child Watch» ont eu lieu dans tout le pays en 1990 et une force d'intervention de 500 enquêteurs a constaté plus de 29 000 infractions à la législation sur le travail des enfants.

Dans la majorité des pays examinés, rares sont les poursuites pour infraction à la législation sur le travail des enfants, et plus rares encore les ,.i arrivent jusqu'aux tribunaux.

Le dépôt des plaintes et la poursuite des contrevenants sont parfois beaucoup trop complexes pour les enfants et leurs familles, ce qui limite les possibilités d'application. En outre, les procédures administratives et judiciaires peuvent être si intimidantes qu'elles dissuadent les victimes pauvres et sans instruction de porter plainte. Cette situation favorise les employeurs, qui détiennent un pouvoir économique, ont un niveau d'instruction plus élevé que les travailleurs et sont mieux à même qu'eux de s'adresser à des avocats et autres conseillers.

Un autre facteur de dissuasion tient au fait que les employeurs et les tribunaux eux-mêmes ont tendance à considérer qu'un arrangement financier est préférable, dans l'intérêt de l'enfant, à la condamnation de l'employeur à une amende. Même en cours de procédure, il arrive que les parents ou les représentants des enfants décident de se désister ou ne se présentent pas devant le tribunal. Parfois aussi les lacunes ou faiblesses de la loi empêchent un procès en bonne et due forme. Enfin, il est fréquent que, pour gagner du temps et faire l'économie des frais de justice, les parties préfèrent régler l'affaire à l'amiable.

Application de la législation relative à la lutte contre le travail en servitude des enfants

L'application de la loi constitue un grave problème dans presque tous les pays d'Asie. Il y a à cela plusieurs raisons:

  • le caractère insaisissable et invisible pratiques d'asservissement au travail et la difficulté d'entrer en contact avec les enfants qui y sont soumis;
  • la lenteur des procédures entre la découverte des infractions, I'engagement des poursuites et la libération des victimes;
  • l'insuffisance des moyens financiers prévus pour l'inspection et l'application de la loi et le manque de coordination entre les organismes intéressés;
  • le manque de coopération des employeurs et aussi, dans certains cas, des enfants et des parents eux-mêmes, qui, en raison du caractère illicite des pratiques en cause, peuvent participer à la conspiration du silence;
  • l'indifférence du public.

Une politique nationale d'ensemble dans ce domaine doit comprendre les éléments suivants:

  • création d'une autorité ou d'une cellule d'intervention nationale expressément chargée d'assurer la stricte application de la loi;
  • renforcement de l'appareil judiciaire;
  • imposition de sanctions pour dissuader les contrevenants éventuels;
  • dénonciation publique des personnes reconnues coupables d'infractions;
  • institution d'une aide judiciaire gratuite;
  • lancement d'une action vigoureuse de sensibilisation de l'opinion;
  • vaste action de formation et d'information — ateliers, séminaires, rencontres — dans tous les milieux intéressés: parlementaires, judiciaires, religieux et autres;
  • services de réadaptation et de conseil.

Source: BIT: Programme d'action contre l'exploitation des enfants en situation servile (Genève, 1992), pp. 6-7.

Les recours sont encore compliqués par le fait qu'il est souvent difficile de savoir avec certitude quelles autorités ont compétence pour connaître des infractions à la législation sur le travail des enfants ou par le morcellement des compétences des tribunaux. A Sri Lanka, par exemple, le tribunal des mineurs, le tribunal du travail et le tribunal pénal ont tous trois compétence en la matière. Enfin, il arrive que les autorités ignorent tout simplement l'étendue du problème parce qu'elles n'ont pas les ressources suffisantes pour enquêter sur les cas suspects et engager d'éventuelles poursuites. Ainsi, une récente enquête menée au Royaume-Uni par le Département de la recherche sur le travail auprès de plus de 100 autorités éducatives locales a montré que, pour l'ensemble de l'année 1994, huit poursuites seulement avaient été intentées pour infraction à la réglementation sur l'emploi des enfants. Dans leur réponse, nombre des autorités enquêtées ont indiqué qu'elles ne disposaient pas des ressources nécessaires pour s'attaquer au problème. Les conseils municipaux qui ont les moyens d'employer un agent chargé à plein temps du travail des enfants ont déclaré que l'un des principaux obstacles était le grand nombre d'enfants au travail qui ne sont pas inscrits auprès des autorités2.

Améliorer l'application de la loi exige une volonté politique

Entrer en contact avec les enfants qui travaillent en servitude pose un réel problème, plus difficile à surmonter qu'on ne pourrait s'y attendre. Rendre ces enfants «visibles» est certes chose faisable, mais il y a une grande différence entre signaler quelques abus pour mettre en lumière le problème et œuvrer à résoudre ces cas d'une manière systématique.

Les récents efforts entrepris avec les services d'inspection du travail de l'Indonésie, des Philippines et de la Thaïlande, pays où l'on a formé les inspecteurs à s'attaquer aux formes les plus flagrantes d'exploitation, n'ont guère donné de résultats jusqu'ici. Outre la difficulté de repérer les enfants qui travaillent dans des conditions dangereuses et sont victimes d'exploitation, l'absence d'une réelle volonté politique pose parfois problème. Les inspecteurs du travail peuvent être pleinement convaincus de l'utilité de leur tâche, ils n'en ont pas pour autant la maîtrise du cadre politique et social dans lequel ils interviennent. Il leur est difficile de réprimer les infractions à la législation sur le travail des enfants qui se produisent dans un établissement donné tout en fermant les yeux sur d'autres infractions commises dans le même établissement. Lors des stages de formation organisés par l'IPEC à l'intention des inspecteurs du travail, il est apparu que ceux-ci éprouvaient un sentiment de frustration dû au fait qu'on leur demandait d'appliquer la loi tout en leur faisant entendre qu'il était essentiel de ne pas perturber l'économie.

Source: BIT Bureau régional pour l'Asie et le Pacifique.

A cela s'ajoute le problème spécial du travail en servitude. Si la législation de la quasi-totalité des pays interdit cette forme de travail, son application est rendue particulièrement difficile par le caractère clandestin de ce phénomène. C'est là un sujet de préoccupation pour les organes de contrôle de l'OIT, qui, lors de leurs examens de l'application de la convention n° 29, ont à maintes reprises exprimé des doutes sur l'efficacité des mesures prises pour éliminer le travail en servitude des enfants. Le problème touche surtout les zones très reculées, où les inspecteurs ont du mal à exercer leur contrôle et les forces de l'ordre à faire respecter la loi. Comme on l'a vu plus haut, les services d'inspection manquent de personnel et de matériel. Nombre de petits établissements échappent à la vigilance des inspecteurs, soit parce qu'ils ne tombent pas sous le coup de la réglementation en vigueur, soit parce qu'ils ne sont pas enregistrés. Enfin, l'indifférence du public et la présence d'intérêts puissants contribuent à entraver gravement l'application de la loi.

L'élimination du travail des enfants en servitude exige une volonté politique renouvelée, des politiques nationales globales et efficaces, une réforme législative, des mesures d'exécution, des systèmes d'enseignement gratuit obligatoire, une mobilisation de la collectivité et des campagnes d'information3. Telle est la conclusion à laquelle a abouti le Séminaire régional asien sur l'esclavage des enfants, qui s'est tenu au Pakistan en novembre 1992 avec la participation de représentants du Bangladesh, de l'Inde, du Népal, du Pakistan, de Sri Lanka et de la Thaïlande. L'encadré ci-avant fait le point des efforts récemment entrepris pour améliorer l'application de la loi en Asie.

Toutes ces difficultés ne doivent cependant pas faire oublier que des progrès ont lieu. Exposer clairement les obstacles auxquels se heurtent les inspecteurs du travail et leur sentiment de frustration peut aider les Etats à mieux prendre conscience du problème et à se persuader qu'il est à la fois nécessaire et possible d'y apporter des solutions.

6. L'action concrète

Introduction

Ces dernières années, la façon d'appréhender le problème du travail des enfants a beaucoup évolué: gouvernements et organisations tant gouvernementales que non gouvernementales l'abordent aujourd'hui de façon plus globale et pragmatique, et cherchent des moyens nouveaux de protéger concrètement les enfants astreints au travail. Dans les années quatre-vingt-dix, de plus en plus de pays ont adopté des politiques et programmes qui ont permis de mobiliser l'opinion publique et de renforcer le cadre institutionnel et la capacité des gouvernements dans différents domaines: recherche, collecte de données, sensibilisation formation, réforme de la législation, identification des populations cibles, formulation de programmes d'action stratégiques. Un nombre sans précédent de programmes d'une grande diversité sont en cours. Beaucoup ont été lancés par des organisations non gouvernementales.

Politiques et stratégies nationales: éléments et méthodes

Tout gouvernement dont l'objectif est que les enfants ne soient plus assujettis à d es travaux dangereux doit avant toute chose se doter d'une politique bien définie de lutte contre l'exploitation des enfants. Plusieurs pays, par exemple le Bangladesh, l'Inde, l'Indonésie, le Népal, les Philippines, la République-Unie de Tanzanie, la Thaïlande et la Turquie, ont adopté, pour la plupart ces trois dernières années, des politiques et programmes d'action nationaux. Les éléments clés de ces programmes sont généralement les suivants: diagnostic fondé sur la collecte et l'analyse des données, identification des emplois et secteurs dans lesquels il faut intervenir en priorité, sensibilisation de l'opinion, renforcement de la capacité institutionnelle, recherche d'aides, amélioration de l'accès des familles pauvres à l'éducation, à la santé et autres services sociaux.

Programme international pour l'abolition du travail des enfants

Le Programme international pour l'abolition du travail des enfants (IPEC) aide les pays à formuler et à mettre en œuvre des politiques globales et des programmes et projets ciblés. Lancé par l'OIT en 1992 grâce à une contribution financière du gouvernement allemand, le programme a démarré dans six pays et il est désormais opérationnel dans plus de 25. Parmi les donateurs, on trouve aujourd'hui l'Australie, la Belgique, le Canada, l'Espagne, les Etats-Unis, la France, le Luxembourg et la Norvège.

L'IPEC aide les pays à renforcer leur capacité d'évaluer la nature du travail des enfants et l'étendue du phénomène, d'identifier les groupes cibles prioritaires et de concevoir et d'appliquer des politiques et programmes visant à abolir le travail des enfants. Des protocoles d'accord ont déjà été signés avec les pays suivants, qui ont créé des comités directeurs nationaux: Bangladesh, Bolivie, Brésil, Chili, Costa Rica, Egypte, El Salvador, Guatemala, Inde, Indonésie, Kenya, Népal, Nicaragua' Pakistan, Panama, Philippines, République-Unie de Tanzanie, Thaïlande et Turquie. Des négociations sont en cours avec l'Argentine, le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Colombie, I'Equateur, l'Ethiopie, I'Ouganda, le Pérou, le Sénégal, Sri Lanka, le Venezuela, la Zambie et le Zimbabwe. Les types de programmes appuyés par l'IPEC varient d'un pays à l'autre, compte tenu de la situation nationale et des priorités fixées par le pays lui-même. Dans le cadre de sa stratégie globale visant à abolir le travail des enfants, l'IPEC accorde la priorité aux enfants courant les plus grands risques.

L'intérêt d'une politique nationale est qu'elle définit les objectifs de la société que les dirigeants s'engagent à poursuivre. Elle leur fournit un cadre cohérent pour l'application d'un programme d'action. Cette politique et ce programme peuvent former un tout ou faire partie d'une politique plus générale; quel que soit le cas, ces deux instruments doivent comprendre au moins les éléments suivants:

Beaucoup de pays se sont attaqués au problème du travail des enfants dans le cadre d'un effort général pour améliorer le sort des enfants ou pour donner effet à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Au Brésil, la lutte contre le travail des enfants aux niveaux de la nation, des Etats et des collectivités locales s'appuient sur les structures mises en place pour défendre les droits de l'enfant et de l'adolescent. Aux Philippines, le plan d'action en faveur des enfants, adopté en 1990, a notamment pour objectif d'abolir les formes les plus dangereuses d'exploitation du travail des enfants, de protéger les enfants victimes de sévices et de les réadapter. D'autres pays ont abordé le problème en l'inscrivant dans leur plan de développement, compte tenu de ses liens étroits avec la misère et le chômage. Ainsi, le sixième plan quinquennal de l'Indonésie (1994-1999) prévoit d'interdire progressivement l'emploi d'enfants de moins de 14 ans pour que tous les enfants soient scolarisés pendant au moins neuf ans. Ce plan envisage aussi la mise en place d'un système intégré de protection et de contrôle visant à réglementer le recours à la main-d'œuvre enfantine.

Il est très important de disposer de données détaillées et fiables sur la nature et l'ampleur du problème, en particulier pour fixer les priorités et mettre en œuvre les programmes nationaux. Le BIT a mis au point deux instruments pour aider les pays à améliorer leurs bases de données dans ce domaine: une méthode d'enquête statistique et une technique d'évaluation rapide.

Le premier de ces instruments permet aux pays d'établir des statistiques de base sur le problème en général ou sur des variables fondamentales. Il a été testé au Ghana, en Indonésie, en Inde et au Sénégal. Plusieurs pays l'ont utilisé isolément ou dans le cadre d'un programme global (Bangladesh, Indonésie, Népal, Pakistan, Philippines, Thaïlande et Turquie).

La technique d'évaluation rapide permet aux organisations d'obtenir des informations qualitatives et quantitatives rapidement pour formuler des programmes d'action. Elle permet aussi de localiser les organismes qui peuvent être mobilisés dans différents endroits. Elle a été testée au Bangladesh et au Pakistan.

Une bonne base de données facilite l'identification des priorités. Un nombre croissant de pays adoptent une approche qui consiste à identifier en priorité les emplois et situations qui présentent le plus de risques en vue d'intervenir rapidement et directement pour y soustraire les enfants et les réadapter (voir encadré).

Pour formuler une politique nationale de lutte contre le travail des enfants, on commence généralement par collecter et compiler des informations fiables. Parallèlement, on propose souvent aux partenaires sociaux de se réunir pour s'interroger sur les forces et les faiblesses des politiques et programmes existants. Au Bangladesh, en Indonésie, au Kenya, aux Philippines, en Thaïlande et en Turquie, des séminaires ou des conférences organisées sur le plan national ont débouché sur l'adoption de programmes nationaux d'action qui vont bien au-delà de simples déclarations d'intention et fixent des stratégies de lutte contre le travail des enfants. Des conférences nationales ont aussi été organisées en Argentine, en Equateur, au Pérou, au Sénégal, au Venezuela et au Zimbabwe. Toutes ont débouché sur la formulation de directives.

Plans nationaux: domaines d'action prioritaires

Népal: Enfants:

  • astreints à des travaux dangereux et totalement inadaptés;
  • livrés à la prostitution;
  • réduits en servitude;
  • de sexe féminin.

Thaïlande: Enfants:

  • de moins de 13 ans;
  • astreints à des travaux dangereux;
  • travaillant dans des ateliers clandestins;
  • reclus;
  • astreints à des travaux physiquement trop lourds pour leur âge ou abusés sexuellement.

Inde: Enfants:

  • astreints à des travaux dangereux, par exemple dans des verreries, fabriques d'allumettes, de bidis ou de tapis, briqueteries, carrières, etc.

Philippines: Enfants:

  • victimes de la traite;
  • travaillant dans des mines et des carrières;
  • travaillant à domicile (sous-traitance);
  • forcés de se prostituer;
  • travaillant dans des plantations de canne à sucre, dans des exploitations horticoles ou des fabriques de matériel pyrotechnique;
  • récoltant des produits sous-marins.

Indonésie: Enfants:

  • trieurs d'ordures;
  • pêcheurs et plongeurs (perles);
  • vendeurs ambulants.

Kenya: Enfants:

  • travaillant comme domestiques;
  • travaillant dans le secteur des services;
  • travaillant dans l'agriculture commerciale;
  • travaillant dans les mines et carrières;
  • travaillant dans le secteur du tourisme;
  • travaillant dans le secteur informel.

Source: IPEC.

Le problème de l'exploitation des enfants est si vaste et si complexe qu'il exige l'adoption d'une stratégie nationale multidimensionnelle englobant non seulement la législation et son application, mais aussi les mesures nécessaires dans différents domaines: revenu et emploi, éducation, protection des enfants et promotion de leurs droits, etc. Beaucoup de pays infléchissent leurs politiques dans ce sens. Il devient de plus en plus évident que les politiques ne peuvent plus se résumer à des généralités et qu'elles ne peuvent être efficaces que si elles s'accompagnent de mesures concrètes bien ciblées sur des secteurs, métiers ou industries où la main-d'œuvre enfantine est nombreuse et souvent victime de mauvais traitements. Toutes sortes d'initiatives peuvent être prises aux niveaux national et local pour permettre aux enfants qui travaillent d'avoir accès aux services de base pour les protéger par des moyens peu coûteux, pour mobiliser la collectivité et même pour aider les enfants à s'organiser afin d'améliorer leur situation économique et sociale.

Il ne faut pas considérer le combat contre le travail des enfants comme une simple affaire technocratique ou bureaucratique. De ce travail, qui assure la prospérité de quelques-uns, dépend la vie, et même la survie, de millions et de millions de familles. C'est un problème qui inspire des sentiments et des réactions contradictoires. Pour surmonter les contradictions, il ne suffit pas de réglementer. Le dialogue, l'éducation et l'information de toutes les parties intéressées sont essentiels. C'est pourquoi la plupart des programmes prévoient des campagnes de sensibilisation des médias et de l'opinion. Faire connaître les formes que peut prendre le travail des enfants et les conséquences qui peuvent en découler participe de cet effort. En amenant la société à prendre conscience que l'exploitation des enfants est un problème, on crée les conditions requises pour la stigmatiser en vue d'aboutir à l'éradication de ses formes les plus avilissantes. Pour réussir et, en particulier, pour que la législation nationale soit respectée, il faut que l'action du gouvernement recueille l'adhésion de l'opinion et que le secteur non gouvernemental y soit associé. Il faut donc fournir une assistance aux organisations et programmes qui se chargent d'informer les différents acteurs de la société sur les droits des enfants, y compris les parlementaires, le monde judiciaire et la police.

Renforcer la capacité institutionnelle

Pour concevoir et mettre en œuvre un programme d'action contre le travail des enfants, il faut d'abord renforcer la capacité institutionnelle de: i) fixer les priorités; ii) promouvoir et coordonner les activités des ministères et autres institutions concernées; iii) encourager la participation du secteur privé et veiller à ce que son action complète celle du secteur public; iv) appuyer des programmes pilotes au niveau local. Beaucoup de pays s'attachent à renforcer leur capacité dans ce domaine. Par exemple la Colombie, la Thaïlande et la Turquie ont créé des organismes publics spécialement chargés de superviser et d'exécuter les programmes d'action contre le travail des enfants. En Turquie, il existe depuis 1992 au sein du ministère du Travail et de la Sécurité sociale une unité chargée de coordonner les activités, de mettre au point des stratégies et d'améliorer la législation. L'objectif est de renforcer la capacité du ministère, des administrations locales, des organisations d'employeurs et de travailleurs et d'autres ONG de mener une action efficace. Des comités de haut niveau, composés de représentants du gouvernement, d'organisations d'employeurs et de travailleurs, d'ONG et d'universités, ont été institués en Colombie et en Thaïlande pour aider à la formulation de politiques et à la mise en œuvre de programmes.

Des organisations d'employeurs et de travailleurs ont aussi mis sur pied des unités spécialisées. Ainsi, la Fédération des employeurs du Kenya a créé une section qui mène des enquêtes sur les risques encourus par les enfants qui travaillent dans les plantations de canne à sucre ou de café et dans les rizières, et s'efforce de convaincre les employeurs d'améliorer leurs conditions de travail et d'avoir moins recours à de la main-d'œuvre enfantine. L'Organisation centrale des syndicats du Kenya (COTU) a aussi mis en place une unité qui mène une enquête et qui tient compte de l'exploitation du travail des enfants dans ses programmes d'éducation. La COTU s'est penchée par exemple sur la question de l'enregistrement des enfants qui travaillent, sur la gestion de leurs contrats et sur les obligations des employeurs en matière de conditions de travail, d'éducation et de formation. La Confédération des syndicats des travailleurs de Turquie a mis en place un bureau chargé de promouvoir la protection sociale des enfants qui travaillent et de sensibiliser ses affiliés au problème.

Améliorer la législation et son application

L'une des grandes tâches de l'OIT a toujours été d'aider les gouvernements à améliorer leur législation et les moyens de l'appliquer. Ces dernières années, le BIT a renforcé cet aspect traditionnel de son travail en fournissant par l'intermédiaire de l'IPEC une assistance accrue aux gouvernements intéressés. L'application de la législation du travail laisse beaucoup à désirer dans de nombreux pays, ce qui tient notamment au nombre très insuffisant des inspecteurs du travail. En outre, ces derniers manquent souvent de moyens, notamment de transport, pour visiter les zones et les myriades de petites entreprises où l'on trouve le plus d'enfants qui travaillent.

L'inspection du travail a un rôle éminent à jouer dans la lutte contre le travail des enfants, en particulier dans l'éradication de ses formes les plus condamnables. Les inspecteurs du travail sont souvent les seuls à pouvoir accéder à des lieux où des enfants travaillent clandestinement et où même les ONG ne sont pas autorisées à pénétrer. Dans beaucoup de pays, la coopération entre inspecteurs du travail, médias et ONG a permis de repérer des situations où des enfants étaient exploités dans des conditions épouvantables. Le BIT a mis au point pour les inspecteurs du travail un module de formation qui a été expérimenté en Indonésie et en Turquie et qui est en cours d'adaptation pour d'autres pays. Ce module montre comment on peut, même avec un budget limité, détecter les problèmes les plus graves et y remédier.

Education et moyens financiers

Protéger les enfants en consacrant leurs droits dans la législation n'est pas tout, et le moyen le plus efficace d'abolir leur exploitation est de prévoir une école de qualité à un prix abordable qui réponde à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Il y a une relation inverse entre la fréquentation scolaire et le nombre d'enfants astreints à des travaux dangereux. Au moins, quand ils sont à l'école, les enfants ne sont pas au travail, et il devient difficile de les employer dans certains secteurs dangereux où il faut être présent sur le chantier toute la journée. La scolarisation présente d'autres avantages qui, à long terme, ne peuvent que réduire l'utilisation de la main-d'œuvre enfantine. Les personnes instruites sont plus conscientes de leurs droits, et donc moins enclines à accepter des conditions de travail dangereuses; elles deviennent des citoyens plus actifs et bien informés; elles choisissent généralement d'avoir moins d'enfants et veillent davantage à leur instruction et à leur santé; en tant que travailleurs, elles sont plus productives, ce qui contribue à améliorer la situation socio-économique. La scolarisation a donc une rentabilité sociale élevée, que les économistes, notamment, mettent en avant, et qui va bien au-delà des bienfaits qui en découlent pour l'individu. Le rapport entre rentabilité sociale et rentabilité individuelle de l'éducation est particulièrement élevé pour les familles pauvres qui ont tellement à faire pour survivre au jour le jour qu'elles ont du mal à percevoir les avantages à long terme de la scolarisation.

La relation entre éducation et travail des enfants est complexe, et des solutions apparemment ne fonctionnent pas forcément. Dans certains cas, elles peuvent même avoir un effet pervers. Les carences des systèmes d'éducation publics ont souvent pour effet de favoriser le travail des enfants. Il faudrait au minimum qu'il y ait des écoles pour tous les enfants, qu'elles soient accessibles et d'un prix abordable (et si possible gratuites).

Mais ce n'est pas parce qu'il y aura suffisamment d'écoles que les enfants des familles pauvres cesseront de devoir travailler. Des politiques et programmes de remplacement du revenu et d'incitations économiques ont été élaborés ces dernières années pour surmonter le problème de la pauvreté et, partant, réduire le besoin des familles pauvres de faire travailler leurs enfants. Cette stratégie est conforme à d'idée que, pour abolir de mauvaises pratiques, mieux vaut des incitations que des sanctions.

Le BIT a mené une enquête1 auprès de 51 organisations — des ONG pour la plupart — de 18 pays, afin d'analyser l'efficacité de cette approche et les problèmes qu'elle pose. L'enquête montre que cette stratégie est assez récente. Les incitations sont de divers types: prestations en nature visant à encourager la fréquentation scolaire (cantine, livres, vêtements gratuits, exemption des droits de scolarité, etc.); bourses d'études; allocations; stages d'apprentissage et autres formules combinant école et travail; activités rémunératrices pour les parents; programmes de développement communautaire dans les zones déshéritées. Dans l'ensemble, les ONG sont favorables à ce genre d'incitations, jugeant que la pauvreté les rend nécessaires. Elles estiment aussi qu'il faut, pour qu'elles soient plus efficaces, les combiner avec d'autres activités: sensibilisation, création d'écoles, amélioration de l'enseignement, participation de la communauté.

Mais les ONG indiquent aussi que l'application de ces programmes pose certains problèmes, tant pratiques que théoriques, notamment: risque de corruption et de fraude; dépendance vis-à-vis du programme; programme scolaire peu adapté aux familles, d'où désintérêt des familles pauvres pour l'école.; risque que les parents poussent leurs enfants à travailler pour pouvoir bénéficier des avantages du programme; risque que les parents travaillent moins et fassent de nouveau travailler leurs enfants lorsque les incitations ne sont plus versées. Malgré ces difficultés, les ONG sont dans l'ensemble favorables à ces programmes. Compte tenu de leur coût et du fait que les enfants retournent travailler lorsque les versements cessent, elles estiment cependant en général qu'il vaut mieux recourir à ces programmes pour la réadaptation des enfants qui travaillent que pour la prévention de ce fléau, et qu'ils sont plus efficaces s'ils s'intègrent dans une stratégie globale. C'est un point important, étant donné l'urgence de soustraire les enfants aux travaux dangereux et la nécessité de les réadapter.

Les ONG soulignent que l'on a besoin de données pour cibler, élaborer, suivre et évaluer ces programmes. Il semble qu'il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine: aucune ONG ne connaissait de programme ayant fait l'objet d'une étude d'impact systématique.

Bref, ces programmes posent un problème. Ils peuvent se transformer en un gouffre financier, mais ils représentent parfois une absolue nécessité et sont peut-être le seul moyen de rompre un cercle vicieux. L'expérience suggère la prudence, et il faut s'attacher à ce qu'ils soient bien adaptés aux besoins spécifiques.

Réadaptation

Un enfant que l'on soustrait au monde du travail devrait pouvoir bénéficier d'une aide dans différents domaines, et cela d'autant plus s'il n'a pu se développer normalement parce qu'il a été réduit en servitude, qu'il a été exploité dès son plus jeune âge, qu'il a dû se prostituer, qu'il a vécu et travaillé dans la rue, sans famille ni environnement social stable. Ces enfants ont besoin non seulement de services fondamentaux — éducation, formation, santé, nutrition —, mais aussi d'un suivi intensif, de sécurité et souvent aussi d'une aide juridique. Un certain nombre de programmes fournissent de tels services à ces enfants dans des centres où ils peuvent séjourner et récupérer.

L'expérience montre que ces enfants ont besoin de l'aide de toutes sortes de spécialistes: travailleurs sociaux, pédiatres, psychiatres, etc. Les bénévoles jouent aussi un rôle important. Leur travail est très lourd. Ceux qui travaillent sur le terrain changent très souvent et ont donc besoin d'une formation et d'une orientation spéciales. Il faut aussi associer la police afin que les enfants « réadaptés » ne soient pas montrés du doigt ou persécutés. Certains organismes essayent aussi, avec un certain succès, de replacer les enfants dans leur famille, auquel cas celle-ci a aussi besoin d'une aide. La réadaptation doit faire partie d'un ensemble de mesures qu'il est urgent de mettre en œuvre, même si leur coût est prohibitif.

Dans les rues d'Ankara

La ville d'Ankara a créé à l'intention des enfants des rues un centre dans lequel ils peuvent trouver refuge, manger, se faire soigner, etc. De plus, une unité mobile de spécialistes suit les enfants dans leur milieu de travail.

Une centaine d'enfants ont été affectés à des emplois offerts par des écoles publiques d'apprentissage. Certains suivent une formation professionnelle au centre. Les petits cireurs de chaussures ne travaillent plus dans la rue mais dans des endroits protégés: bâtiments publics, hôpitaux, centres commerciaux. La police coopère en se montrant plus compréhensive à leur égard et en assurant leur sécurité sur le lieu de travail.

Des enquêtes ont été menées sur le terrain pour évaluer la réaction des enfants au programme. A cette occasion, on a constaté que beaucoup d'autres groupes d'enfants des rues — par exemple des fillettes de 9 ans qui lavent des voitures — ont désespérément besoin d'une protection.

D'autres grandes villes du pays ont manifesté leur intention de s'inspirer de ce programme.

Source: IPEC.

Exemples de projets d'assistance à des enfants astreints à des travaux dangereux

En général, les politiques et programmes nationaux de lutte contre l'exploitation du travail des enfants sont mis en œuvre dans le cadre de projets spécifiques, de portée limitée et à échéance déterminée (voir encadrés). Un projet peut concerner un groupe cible dans un secteur particulier et prévoir un petit nombre d'interventions sur une période de deux ou trois ans, ou bien s'attaquer à un grand nombre de problèmes. Les groupes cibles peuvent être des enfants qui travaillent en milieu rural, dans des tanneries, des ateliers mécaniques, des fabriques de tapis, des chantiers de construction; des enfants forcés de se prostituer; des enfants migrants; des enfants domestiques; des enfants réduits en servitude ou faisant l'objet d'un trafic.

D'un projet à l'autre, les activités peuvent être très différentes: services sociaux — nutrition, soins de santé — formation, promotion des droits de l'enfant, renforcement de la capacité organisationnelle. Leurs objectifs aussi peuvent varier: certains sont ponctuels et limités dans le temps, visant à remédier à une situation d'urgence, par exemple soustraire des enfants des griffes d'un employeur et les réadapter; d'autres ont des objectifs à long terme, par exemple abolir le recours à la main-d'œuvre enfantine dans toute une branche.

Brésil: une initiative syndicale fructueuse

Grâce à l'Union des travailleurs ruraux de Petrolina, beaucoup d'enfants autrefois astreints à des tâches dangereuses et harassantes dans une région du Brésil située à cheval sur les Etats de Pernambuco et Bahia s'initient aujourd'hui aux secrets de l'horticulture.

Ces enfants travaillaient pour améliorer le rendement de leurs parents, eux-mêmes employés par de grandes sociétés, et ne pouvaient aller à l'école. Ils étaient constamment exposés à des produits agrochimiques extrêmement dangereux. Les plus pauvres étaient privés des soins les plus élémentaires et souffraient de malnutrition. Le syndicat a mis au point à leur intention un programme d'enseignement complété par un apprentissage conçu pour leur permettre de trouver de meilleurs emplois plus tard. Un potager-école est donc venu s'ajouter au centre d'enseignement informel destiné à préparer les enfants à entrer dans le système d'enseignement public. Sont aussi prévus dans ce programme des activités artisanales ainsi que des cours de musique et d'art dramatique qui permettent aux enfants de donner libre cours à leur sensibilité et à leur créativité, de s'affirmer, d'aiguiser leur intellect et de découvrir leurs aptitudes.

Les deux collectivités intéressées ont contribué au programme en faisant don du terrain utilisé pour le potager-école et en construisant le centre d'enseignement informel. Les médias se sont intéressés au programme lorsque, petit à petit, les enfants ont cessé de travailler pour reprendre le chemin de l'école. Télévision, radio et presse locales se sont fait l'écho de cette initiative.

La preuve de son succès est qu'aujourd'hui 80 enfants, tous bénéficiaires du programme, sont scolarisés. Il faut maintenant déterminer dans quelle mesure et dans quelles conditions le travail des enfants se développe dans la région afin de prévoir une action préventive.

Source: IPEC.

Coopération internationale

Depuis quelques années, les organisations internationales se soucient de plus en plus du problème du travail des enfants. Le travail que font dans ce domaine l'UNICEF et la Commission des droits de l'homme de I'ONU est bien connu. Des organisations régionales intergouvernementales s'intéressent aussi à la question, notamment le Conseil de l'Europe qui, en 1991, a adopté la recommandation R(91)11 sur l'exploitation sexuelle, la pornographie, la prostitution ainsi que sur le trafic d'enfants et de jeunes adultes.

Thaïlande: 1992-1997 — Action communautaire
pour prévenir l'exploitation sexuelle des enfants
à des fins commerciales

Beaucoup de pays d'Asie et d'Amérique latine ont des projets axés sur les stratégies visant à prévenir l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Cette prévention requiert différents types d'actions. il faut notamment organiser des campagnes de sensibilisation contre la prostitution et la traite des enfants, offrir des possibilités d'éducation, de formation et d'emploi aux enfants et à leurs familles; mobiliser la collectivité à tous les niveaux. L'IPEC accorde une grande priorité à cette prévention, et les résultats obtenus sont prometteurs.

L'IPEC soutient les activités de prévention menées par le Programme d'éducation des filles dans une région du nord de la Thaïlande pour empêcher que de jeunes villageoises se retrouvent piégées dans la prostitution dans le pays ou à l'étranger. Il offre aux jeunes filles les plus exposées un refuge provisoire et la possibilité de participer à un programme éducatif. Ces jeunes filles viennent généralement de familles à problèmes qui comptent déjà des prostitués ou des toxicomanes, ou encore de familles désunies, de familles lourdement endettées, etc. Certaines viennent aussi de communautés tribales particulièrement déshéritées. Le programme a mobilisé les enseignants et les responsables locaux pour identifier les jeunes filles qui courent le plus de risques. En compagnie de ces responsables, les agents du programme se rendent dans les familles pour les mettre en garde. Ils proposent pour leurs enfants un programme éducatif combinant enseignement de base et apprentissage. Les jeunes filles qui participent au programme sont invitées à réfléchir aux valeurs sociales, et tout est fait pour leur donner confiance en elles-mêmes. Par ailleurs, une formation spéciale est donnée à certaines d'entre elles pour qu'elles puissent participer activement à la lutte contre la prostitution lorsqu'elles retournent dans leur village. Le programme fait un gros effort de sensibilisation auprès des parents afin de leur montrer que, pour sortir de la misère, il y a d'autres solutions que de livrer ses enfants à la prostitution.

Source: IPEC.

La Confédération internationale des syndicats libres, qui a été parmi les premières organisations à se mobiliser contre l'exploitation des enfants, a lancé en 1994 une campagne mondiale pour l'abolition de ce fléau et continue d'étudier activement le problème et de défendre les droits des enfants astreints au travail2. On notera que les organisations internationales d'employeurs commencent à s'intéresser aussi à la question. Le Conseil général de l'Organisation internationale des employeurs (OIE) a adopté en juin 1996 une résolution sur l'exploitation de la main-d'œuvre enfantine qui contient un certain nombre de recommandations à l'intention des employeurs et de leurs organisations. Elle appelle notamment à l'abolition immédiate des pratiques assimilables à l'esclavage et des formes dangereuses de travail des enfants et à la formulation de plans d'action aux niveaux international, national, et sectoriel ainsi qu'au niveau de l'entreprise. Elle demande à l'OIE de lancer un programme d'activité dans ce domaine.

Beaucoup d'autres organisations, moins connues, apportent une contribution fondamentale à la lutte contre l'exploitation des enfants. Par exemple, dans le secteur du tourisme, un certain nombre d'agences de voyages, d'hôtels et de transporteurs aériens ont commencé à prendre des mesures pour combattre le tourisme sexuel. En décembre 1994, la Fédération universelle des associations d'agences de voyages a adopté une charte dans laquelle elle s'engage à lutter contre ce phénomène. En août 1996, l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) a annoncé à Stockholm qu'elle allait constituer une cellule associant secteur privé et secteur public afin de s'attaquer au problème du tourisme sexuel et de la prostitution des enfants. L'objectif de cette cellule (Tourism and Child Prostitution Watch) est d'encourager l'industrie du tourisme à plus d'autodiscipline en faisant connaître la réalité de l'exploitation sexuelle des enfants et en réunissant des informations sur le problème et les mesures qui sont parvenues à l'endiguer.

En 1992, Interpol a créé un groupe de travail permanent chargé d'aider ses Etats Membres à combattre l'exploitation sexuelle des enfants, et en particulier la pornographie enfantine et la pédophilie. Ses travaux se fondent sur la résolution relative aux infractions commises à l'encontre de mineurs, adoptée par l'Assemblée générale de l'OIPC-Interpol en 1992. Cette résolution qui a fait date propose des mesures pour combattre l'exploitation sexuelle des enfants, notamment l'établissement d'un fichier international de pédophiles (en octobre 1996, l'Assemblée générale d'Interpol devrait mettre à jour ses recommandations).

Le Congrès mondial sur l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, qui s'est tenu à Stockholm en août 1996, a adopté un programme d'action qui devrait contribuer aux efforts engagés au niveau international pour lutter contre ce fléau. D'autres conférences internationales du même genre sont prévues. Ainsi, le gouvernement des Pays-Bas envisage d'organiser avec le BIT, à Amsterdam en février 1997, une conférence internationale sur les formes les plus intolérables d'exploitation des enfants. Des représentants de pays industrialisés, de pays en développement qui ont déjà pris des mesures pour abolir ces formes extrêmes d'exploitation seront invités à cette conférence qui vise à promouvoir la coopération internationale. Le gouvernement norvégien prévoit d'organiser aussi en collaboration avec le BIT une réunion à Oslo en 1997.

Notes

1 Anker, R. et Melkas, H.: Economic incentives for children and families to eliminate or reduce child labour (Genève, BIT, 1996).

2 La dernière déclaration de la CISL à ce sujet (doc. n° 16GA/7.7 (final)) remonte à son 16e congrès mondial (Bruxelles, 25-29 juin 1996).

7. L'intolérable en point de mire

Dans l'état actuel des choses, on ne peut qu'être partagé entre deux sentiments. D'un côté, on peut éprouver un certain optimisme à constater que le monde est désormais beaucoup plus sensible au problème du travail des enfants, qu'il en connaît mieux les tenants et les aboutissants et que sa volonté de mettre un terme à ce fléau s'est affermie. D'un autre côté, comment ne pas être submergé par la colère et la tristesse à l'idée que, malgré tout, des millions d'enfants continuent de voir leur avenir compromis par des tâches bien au-dessus de leur âge, ce qui représente pour eux et pour leurs familles une véritable tragédie et, pour les collectivités auxquelles ils appartiennent, un terrible gâchis de ressources humaines ?

Le mal immense que des adultes rapaces font aux enfants qui travaillent, parfois avec une cruauté gratuite et trop souvent en toute impunité, bafoue le sens de l'humain et fait affront à la sincérité, à la volonté politique et aux efforts collectifs des sociétés, pauvres ou riches, qui professent que l'enfant doit passer avant tout, que l'être humain doit être au centre du développement et que le respect des droits de l'homme doit être universel. Il est particulièrement choquant, à un moment où des millions d'enfants sont privés de tout, que le débat s'enlise dans des arguties du style: la législation destinée à combattre le travail des enfants doit-elle ou non s'appliquer, par exemple, aux enfants qui vendent des journaux avant ou après l'école pour gagner un peu d'argent de poche et se payer le dernier gadget à la mode ? Il saute pourtant aux yeux que leur sort n'a rien à voir avec celui des enfants traités comme de véritables esclaves, astreints à des travaux harassants sur les chantiers de construction, obligés de se prostituer ou encore victimes de sévices de la part de ceux qui les emploient comme domestiques.

Toutefois, comme nous l'avons dit, il y a aussi des raisons d'être optimistes. Le monde aujourd'hui est bien différent de ce qu'il était il y a encore cinq ou dix ans. Il offre des conditions propices et des possibilités d'action jusqu'alors inconnues qui devraient nous permettre de lancer une offensive décisive contre l'exploitation de la main-d'œuvre enfantine. Dans les chapitres précédents, nous avons présenté les diverses mesures qui devraient être prises à cette fin par les gouvernements et la communauté internationale. Les plus importantes sont récapitulées ci-après.

Premièrement, la communauté mondiale devrait manifester sa volonté d'agir solidairement en adoptant une convention internationale qui interdise toutes les formes extrêmes de travail des enfants. Une telle convention comblerait un vide en complétant les instruments internationaux qui traitent des enfants et de leurs droits et permettrait de fixer bien clairement les priorités de l'action nationale et internationale. Elle s'appuierait sur la convention n° 138, qui reste l'une des conventions fondamentales de l'OIT et un instrument clé pour l'élaboration d'une stratégie cohérente de lutte contre le travail des enfants au niveau national. La convention n° 138 a été ratifiée par 49 pays. De l'avis du Bureau, si cette convention n' a pas été davantage ratifiée, c'est parce que certains Etats Membres la jugent trop complexe et trop difficile à appliquer intégralement, du moins à court terme. Le Bureau envisage donc une nouvelle convention qui compléterait la convention n° 138 de manière cohérente mais qui serait axée sur les formes les plus intolérables du travail des enfants, telles qu'elles ont été décrites dans ce rapport. Elle s'appliquerait à tous les enfants de moins de 18 ans et obligerait les Etats Membres à mettre immédiatement un terme à toutes les formes extrêmes de travail des enfants, à savoir notamment: toutes les formes d'esclavage et pratiques assimilables; la vente et la traite d'enfants; le travail forcé ou obligatoire, y compris la servitude pour dettes et le servage; l'utilisation des enfants pour la prostitution, pour la production de matériel ou de spectacles pornographiques, pour la production ou le trafic de drogues ou pour d'autres activités illégales; l'emploi d'enfants à tout type de travail qui, par sa nature ou en raison des conditions dans lesquelles il est effectué, risque de compromettre leur santé, leur sécurité ou leur moralité. La convention exigerait que soient prévues et strictement appliquées des peines appropriées. Chose importante aussi, elle encouragerait les Etats Membres à s'aider les uns les autres par une assistance judiciaire et technique internationale ou par d'autres types de coopération visant à combattre l'intolérable.

Deuxièmement, il est temps que les Etats Membres qui, depuis quelques années, réclament une convention internationale dans ce domaine et qui, pour la plupart, ont ratifié les grandes conventions de l'OIT qui traitent du travail des enfants et du travail forcé ainsi que la convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, traduisent dans les faits leur engagement et leurs paroles en adoptant un programme d'action assorti d'un calendrier visant à abolir le travail des enfants. La croissance économique s'est accélérée au point d'atteindre 8 à 12 pour cent par an dans beaucoup de pays d'Asie et d'Amérique latine, et on s'attend aussi à ce qu'elle soit d'un rythme respectable dans beaucoup de pays africains. Les conditions sont donc réunies pour une nette élévation du niveau de vie dans de nombreux pays en développement et, tout comme ils sont parvenus, dans le cadre de plans de développement prévoyant des délais bien précis, à accélérer la croissance économique, à accroître le revenu par habitant et à atteindre d'autres objectifs socio-économiques, les gouvernements peuvent et doivent mettre relativement vite un terme à l'exploitation de la main-d'œuvre enfantine en adoptant un programme d'action assorti d'un calendrier.

Troisièmement, parce que les enfants occupent une place primordiale, parce que ceux qui travaillent dans des conditions véritablement dangereuses doivent être aidés de toute urgence et parce qu'il est possible d'intervenir efficacement, la priorité de la politique nationale devrait être, dans un premier temps, d'abolir les formes les plus intolérables d'exploitation de la main-d'œuvre enfantine, notamment l'esclavage et les pratiques assimilables, le travail forcé sous toutes ses formes, notamment la servitude pour dettes et la prostitution, ainsi que le travail dans les métiers et les secteurs présentant des risques.

Quatrièmement, il faut prévoir des mesures spéciales pour les enfants — notamment les très jeunes et les filles — les plus vulnérables à l'exploitation et aux mauvais traitements. Beaucoup d'enfants commencent à travailler très tôt, dès 5 ou 6 ans, notamment en milieu rural. Le pourcentage de travailleurs enfants de moins de 10 ans est loin d'être négligeable et peut atteindre jusqu'à 20 pour cent dans certains pays. Cela pose un problème d'autant plus alarmant que, plus un enfant est jeune, plus il est vulnérable aux risques physiques, chimiques et autres auxquels il est exposé sur le lieu de travail, et, bien sûr, plus il risque d'être exploité. Quant aux filles, elles sont souvent victimes de préjugés d'ordre culturel qui font, par exemple, que leurs parents ne les envoient pas à l'école. Le plus souvent, celles qui ont été forcées à se prostituer n'ont plus aucune chance de se réinsérer dans leur communauté d'origine. C'est pourquoi il faut interdire purement et simplement le travail des enfants de moins de 12 ou 13 ans et prévoir des mesures de protection spéciale pour les filles.

Ce qu'il faut faire pour combattre l'intolérable

  1. Adopter une nouvelle convention sur le travail des enfants.
  2. Adopter un programme d'action assorti d'un calendrier, visant à abolir le travail des enfants.
  3. Mettre un terme immédiatement aux formes extrêmes de travail des enfants.
  4. Interdire le travail des enfants de moins de 12 ou 13 ans et prévoir une protection spéciale pour les filles.
  5. Prévoir des mesures de réadaptation pour soustraire définitivement les enfants aux travaux dangereux.
  6. Adopter des mesures de prévention.
  7. Désigner une autorité nationale responsable de la question.
  8. Faire qu'un crime contre un enfant soit partout reconnu comme un crime.
  9. Accroître l'aide financière pour combattre le travail des enfants.

Cinquièmement, dans les programmes d'action nationaux contre le travail forcé et les travaux dangereux, il ne faut pas oublier que le mieux peut être l'ennemi du bien. Il faut donc veiller à ce que les mesures prises contre le travail des enfants dans tel ou tel secteur dangereux n'aient pas pour effet de le rendre clandestin ou de le faire réapparaître dans d'autres secteurs au moins aussi dangereux. Dans ce domaine, toute action devrait donc s'accompagner d'un gros effort de réadaptation.

Sixièmement, il vaut mieux prévenir que guérir. La tâche de la communauté internationale est d'abolir immédiatement toutes les formes extrêmes de travail des enfants. A cette fin, il est absolument fondamental de prévoir des programmes de protection et de réadaptation. Toutefois, il ne saurait y avoir de solution durable que si les mesures à court terme s'inscrivent dans le cadre d'une politique nationale qui donne la priorité à la prévention, ce qui passe notamment par l'école obligatoire, universelle et gratuite et par la mobilisation de la collectivité.

Septièmement, il faut non seulement décider des grandes approches à utiliser pour combattre le travail des enfants, mais aussi désigner tous ceux qui ont un rôle important à jouer. Dans la quasi-totalité des pays, c'est la société tout entière qui est concernée. Mais seuls les gouvernements ont la capacité d'influer puissamment sur l'opinion publique et de mobiliser les ressources financières et les instruments institutionnels requis. Malheureusement, trop souvent ce potentiel se perd parce qu'une multitude d'organismes publics s'occupent de la question et qu'il n'existe pas de mécanisme de coordination: le travail des enfants est à la fois l'affaire de tout le monde et l'affaire de personne. Pour être efficaces, les gouvernements doivent rompre avec la politique de laisser-faire qui est trop souvent la leur. Ils doivent désigner une autorité nationale responsable et l'investir de tous les pouvoirs nécessaires.

Huitièmement, une action concertée et une coopération internationales, faisant intervenir toutes les régions — Amérique du Nord, Océanie, Europe, Afrique, Asie et Amérique latine — sont indispensables si l'on veut arriver à abolir toutes les formes extrêmes du travail des enfants. Sans cela, on ne pourra faire cesser la traite des enfants et leur assujettissement à des travaux forcés et à des travaux dangereux, à la prostitution et à la pornographie, qui doivent être considérés comme des crimes dans tous les pays. Un crime, où qu'il soit commis, doit être considéré partout comme un crime.

Enfin, la lutte contre les formes extrêmes de travail des enfants doit s'accompagner d'un programme de coopération internationale dans le domaine socio-économique. On ne peut améliorer le sort des enfants sans lutter contre la pauvreté. La loi et l'école ont un rôle important et nécessaire à jouer mais leur action échouera si la communauté internationale ne s'engage pas à combattre la pauvreté dans tous les pays par un programme d'action solidaire. Le combat contre le travail des enfants doit s'accompagner d'une campagne visant à établir le plein emploi, productif et librement choisi, qui doit être considéré comme un impératif éthique, social, politique et économique de l'humanité. Le défi est, pour les gouvernements des pays en développement, de répondre aux besoins des plus pauvres parmi les pauvres et, pour ceux des pays riches, de fournir, pour lutter contre la misère dans le monde, des ressources qui soient à la mesure de l'insistance qu'ils mettent à réclamer l'application de normes universelles.

Annexe

Note: Les titres des conventions sont les suivants: convention (n° 5) sur l'âge minimum (industrie), 1919; convention (n° 59) (révisée) sur l'âge minimum (industrie), 1937; convention (n° 123) sur l'âge minimum (travaux souterrains), 1965; convention (n° 138) sur l'âge minimum, 1973; convention (nº 29) sur le travail forcé, 1930; convention (nº 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957.

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